Société

Coming out et sexo 101

Geneviève Proulx enseigne le français en cinquième secondaire au Collège Letendre, à Laval. Il y a trois ans, elle s’est mariée. Et chaque fois que ses élèves remarquent la bague à son doigt, c’est le même refrain : « Comment s’appelle votre mari ?

– Je n’ai pas de mari.  – Ah, vous êtes lesbienne ? – Non plus. Je suis bisexuelle. » 

Imaginez un peu la tête des élèves. Incrédules, vous dites ?

« Comme il n’y a plus de cours d’éducation à la sexualité, je finis toujours par prendre 30 minutes. O.K., fermez vos livres, on va jaser. »

Et c’est là qu’elle leur explique qu’elle a toujours aimé les hommes, mais que, un beau jour, elle est tombée amoureuse d’une femme. « Je suis tombée amoureuse de la personne, indépendamment de son sexe. » Bienvenue dans le monde de la bisexualité.

« Quand les jeunes savent que quelque chose existe, c’est une chose. Mais voir, devant eux, une personne normale, qui a une vie normale, c’est encore plus rassurant pour eux. »

Chaque fois, les mains se lèvent. Beaucoup de mains. « Parfois on prend toute la période, parce qu’il y a trop de questions, dit la jeune enseignante en souriant. Les élèves s’interrogent sur plein de trucs qu’on devrait savoir à 16 ans. » Notamment : l’amour, la sexualité (« ils ont du mal à faire la différence entre les deux »), la contraception et, bien sûr, les ITS.

Toujours, elle prend le temps de répondre. Visiblement, elle y prend aussi un certain plaisir. « Oui, je vois un peu ça comme mon devoir. Les élèves me voient honnête et ils aiment ça, dit-elle. Moi, je ne mens pas. Ça me fait plaisir de porter le flambeau, parce que je sais qu’il y en a qui ne sont pas capables de le faire. »

UN COMING OUT RAPIDE

Son coming out a duré 48 heures. Certains mettent des mois, des années, voire des décennies à s’assumer. « Il y a des profs qui ont vécu des coming outs atroces. On va se le dire, ça arrive », dit-elle. D’où la difficulté à en parler pour plusieurs dans le milieu.

« Ce n’est déjà pas facile d’être prof. Si en plus, on est gai, lesbienne ou bi, on ajoute un autre degré de vulnérabilité. »

— Geneviève Proulx, professeure de français en cinquième secondaire

Jamais elle n’entre dans les détails de son intimité. Mais l’enseignante a bien sûr noté les regards coquins de certains (« ils s’imaginent que je suis une bête de sexe ») ou méfiants des autres, les bras croisés, l’air de dire : « Je ne suis pas sûr que j’aime ça. » Une élève lui a un jour carrément dit que son père ne voulait plus qu’elle aille dans les classes d’appui, « de peur que je devienne lesbienne si je te côtoie ! ». Plusieurs ont en prime confirmé qu’on ne parle pas « de ces sujets-là » à la maison. N’empêche. Jamais un parent ne s’est plaint. Pas une fois.

DISCUTER SEXUALITÉ

Plusieurs collègues ont quant à eux haussé les sourcils. « Pourquoi ce besoin de le dire ? Moi, je ne dis pas que je suis hétéro ! » Vrai. Mais l’hétéro ne se posera jamais la question avant de parler de son week-end ici avec sa blonde, ou là avec son mari. Geneviève Proulx, oui. « Quand c’est le troisième prof hétéro qui te demande pourquoi, pourquoi, pourquoi, tu finis par te sentir au combat. J’ai l’impression de faire de la sensibilisation en tout temps. Moi, je vis ça. Et je vois l’importance d’en parler. »

Ironiquement, elle est du coup devenue la référence en matière de sexualité au collège. Comme si le fait de parler de sa femme faisait d’elle l’experte en la matière. Des collègues hétéros lui racontent leur vie sexuelle, dit-elle en pouffant, et plusieurs élèves viennent aussi la voir pour en discuter. « Chaque année, cinq élèves s’interrogent sur leur orientation, et un ou deux finissent par faire un coming out. »

À Noël, un jeune a carrément annoncé en classe qu’il était gai dans un slam, en présentation orale. « Oui, je l’avoue, je suis gai. »

Mieux, des élèves maintenant au cégep continuent de lui écrire : « J’aimerais jaser… »

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