L’environnement ou le portefeuille ?

Acheter en vrac a déjà été perçu surtout comme une façon de faire des économies. C’est parfois le cas. Avec la prolifération des épiceries « zéro déchet », les raisons de choisir des produits non emballés se sont toutefois multipliées.

Moins de déchets

« On sait tous qu’on ne sait pas où s’en vont tous les contenants qu’on met au recyclage », tranche Isabelle Faivre-Duboz. Alors, si elle fréquente un magasin d’alimentation en vrac de son quartier, c’est d’abord pour éviter les produits emballés. Aussi, parce qu’elle achète de toute manière un maximum de produits bios. « Il faut trouver d’autres solutions que de mettre des pesticides partout dans les champs », ajoute-t-elle, pour justifier son choix.

Lys Jutras et son conjoint font de même depuis la naissance de leur enfant, événement qui a changé leur manière de s’alimenter – bio, désormais – et de consommer. « On s’est questionné, on essaie de voir plus loin, dit-elle. On sait ce qui arrive avec les changements climatiques et la surconsommation. C’est une manière de faire notre part. »

« Tout petit geste dans la bonne direction est significatif. »

— Karel Ménard, du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets

Les emballages alimentaires ne représentent pas une grande partie des déchets par rapport aux autres matières qui se retrouvent au dépotoir, selon lui. Ils n’en sont pas moins problématiques. « Très souvent, ils ne sont pas recyclables, signale-t-il. Ils sont souvent faits de plastique ou en multimatières. »

Pratique

Les épiceries de vrac ne sont pas toutes « zéro déchet » pour autant. « Dans un Bulk Barn, on fournit des sacs de plastique au lieu de vendre des produits emballés, mais ça relève du même effort de réduire les emballages », juge quand même Patrick Mundler, de la faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation de l’Université Laval. Marine Giber ne se casse pas la tête, d’ailleurs. « Je prends les sacs qu’il y a », dit-elle, à la sortie d’un magasin de vrac de la rue Sainte-Catherine.

Elle n’a pas non plus évalué si c’était plus avantageux que de fréquenter un supermarché. Ce qui compte pour elle, c’est le côté pratique. « C’est vraiment du dépannage », insiste-t-elle. Elle va aussi au supermarché, comme la majorité des Québécois : près de 80 % des achats alimentaires se font dans des magasins d’alimentation traditionnels, selon le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation.

« On n’est pas obligé d’acheter 100 % de l’épicerie en vrac, juge d’emblée le nutritionniste Hubert Cormier. On peut consommer du vrac graduellement. Le consommateur qui découvre le vrac dans une grande enseigne peut ensuite oser et se tourner vers des épiceries de vrac pour compléter son épicerie ou découvrir de nouveaux produits. »

Éviter le gaspillage

Réduire les emballages n’est pas la seule manière de réduire l’impact écologique de son alimentation. Acheter en vrac pourrait aussi limiter le gaspillage alimentaire. « Ça permet de vraiment choisir ses quantités », fait valoir Hubert Cormier. Inutile d’acheter 1 kg de farine de sarrasin, par exemple, si la recette qu’on tente pour le brunch n’en nécessite que 250 g… « Il y a moins de perte et on gagne pour la fraîcheur. Le kilo que j’aurais acheté et peut-être pas réutilisé avant longtemps va rancir. »

Vincent Lemay, client d’un magasin de vrac indépendant, est d’accord : acheter en vrac permet de mieux prévoir les quantités et de « perdre moins » de produits alimentaires. Il ne s’agit pas d’une question anodine : près de 50 % du gaspillage alimentaire se fait à la maison au Canada, où chaque ménage jette environ 1500 $ d’aliments à la poubelle chaque année.

Et les économies ?

Ceux parmi les consommateurs de vrac rencontrés par La Presse+ qui avaient bien évalué leurs dépenses en alimentation admettaient généralement qu’ils ne font pas d’économies substantielles en fréquentant ce type de commerce. Entre autres parce qu’ils sont très nombreux à opter pour les produits bios, pour des raisons environnementales ou de santé.

« On s’attend à payer plus cher quand on achète bio. Mon conjoint et moi, on privilégie le local, le bio, le non-emballé. On fait des choix de consommation. »

— Lys Jutras

Adolfo Rodriguez et sa compagne n’ont pas vu de différence majeure sur leur facture d’épicerie depuis qu’ils ont troqué les produits bios du supermarché pour ceux d’une épicerie de vrac de quartier. « On regarde ce qu’on dépense chaque mois et c’est à peu près la même chose qu’avant », assure-t-il. Il voit toutefois une grande différence dans la quantité de déchets qu’il met au chemin chaque semaine.

Pour gens aisés ?

« Les gens qui achètent du vrac ne le font pas en fonction du coût », tranche Patrick Mundler, qui les compare à ceux qui achètent des paniers de légumes directement des producteurs. D’où cette idée que c’est réservé à une clientèle plus aisée. Mais ils ne paient pas plus cher globalement : il y a des produits plus chers et d’autres qui le sont moins.

« Quand on regarde les profils des consommateurs, ce ne sont pas les plus riches qui font ce choix, mais plutôt les plus éduqués, poursuit-il. Il y a un lien évident entre le niveau d’éducation et l’éducation des consommateurs et des achats alimentaires de produits locaux, bios, etc. » Il faut par ailleurs être motivé pour pousser le geste jusqu’à fréquenter des boutiques où on doit fournir soi-même ses contenants, selon lui. « Ça demande un effort logistique non négligeable », juge le professeur.

Les clients interrogés par La Presse+ minimisent toutefois cet élément irritant. « C’est une habitude à prendre », dit simplement Vincent Lemay. Lys Jutras est d’accord, même si elle peinait à ranger les contenants qu’elle avait apportés en trop. « Je vais les redistribuer dans les sacs et en accrocher un à mon guidon », a-t-elle dit, montrant bien que, pour elle, ce n’était qu’un détail.

Attention aux allergies

« Il faut faire très attention aux allergies alimentaires et aux contaminations croisées. C’est un point qu’on ne soulève peut-être pas assez. Comme tout le monde a accès aux instruments pour piger dans le vrac, ça se pourrait qu’on ne puisse pas garantir qu’il n’y a pas eu de contamination croisée », souligne Hubert Cormier, en évoquant les cas de personnes très allergiques aux noix.

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