Chronique

« Je sais où je m’en vais »

Le ministre Roberge a beaucoup d’idées pour l’éducation… qu’il veut implanter rapidement.

Si le nouveau ministre de l’Éducation Jean-François Roberge réussit à implanter tout ce qu’il a promis d’implanter dans une entrevue avec La Presse, hier, c’est tout le visage des écoles primaires et secondaires qui va changer.

« Jeudi, a-t-il dit, j’ai passé deux heures à donner des instructions aux fonctionnaires, on jette les bases de ce qui s’en vient. On va lancer des chantiers, des projets de loi, des consultations… »

Jusque-là, le nouveau ministre parlait comme tous les nouveaux ministres de la Terre…

Puis il est devenu très précis.

Sur la prématernelle à 4 ans : « On ne va pas reculer. Ça va se faire sur cinq ans. »

Sur l’intégration à la va-comme-je-te-pousse d’élèves en difficulté dans des classes ordinaires, une des causes les plus fréquentes d’épuisement chez les enseignantes : 

« Je vais donner des consignes pour ouvrir plus de classes spécialisées pour les enfants qui ont des difficultés d’apprentissage. On va ramener les classes régulières vers des classes qui le sont vraiment, régulières. »

— Jean-François Roberge

Quand les commissions scolaires ont dû faire des coupes dans le budget, ces dernières années, les classes spéciales ont souvent écopé. Les élèves en difficulté se sont alors retrouvés en classes « régulières », monopolisant l’attention et l’énergie d’enseignants qui ne sont pas formés pour leur enseigner.

Sur la bonification salariale des jeunes profs, promise par la Coalition avenir Québec (CAQ) : « On va de l’avant. On veut écouter les profs et les appuyer, notamment par l’ajout de spécialistes. Mais les nouveaux profs vont avoir des bonifications salariales. »

Parallèlement, dans un esprit de valorisation du métier, Jean-François Roberge veut créer un programme de mentorat des jeunes profs : « Un prof d’expérience va t’accompagner pendant cinq ans, même si tu changes d’école. Ça va avoir un impact, quand on sait qu’un prof sur quatre décroche durant ses cinq premières années. »

Quant aux « spécialistes » du réseau – les orthopédagogues, les orthophonistes, les psychologues et les travailleurs en éducation spécialisée –, le ministre Roberge promet de consacrer leur importance par un principe semblable à celui des « ratios enseignant-élèves » : « Il va y avoir des planchers de services professionnels. On ne pourra plus couper des postes et tomber sous ces planchers. »

Ces travailleurs sont essentiels dans l’école moderne pour appuyer les profs. Mais au fil des coupes des 20 dernières années, ce sont ces professionnels qui ont été sacrifiés les premiers : leurs postes n’étaient pas protégés par les ratios qui protègent les profs.

Il faut de trois à cinq ans pour faire lever de terre une école, en cette ère où les élèves sont parqués dans des roulottes par manque de place. Ça va changer, promet Jean-François Roberge. 

« Nous allons raccourcir le processus administratif pour rénover, agrandir et construire les écoles. Ça va aller beaucoup plus vite. On va préciser les cibles dans trois semaines. »

— Jean-François Roberge

Et le ministre promet par ailleurs que chaque nouvelle école construite au Québec devra faire l’objet d’un concours d’architecture, pour en finir avec les bunkers laids qui ressemblent (mon image) à des stations de tri du goulag de la banlieue sibérienne : « Il faut construire de belles écoles », dit le ministre, en donnant un coup de chapeau au Lab-École, ce projet controversé mis sur pied sous les libéraux, qui visait à repenser l’école, notamment sous l’égide de l’architecte québécois de renommée internationale Pierre Thibault.

J’ai fait remarquer au ministre que ces idées sont de belles et bonnes idées, mais que, puisque « le diable est dans les détails », il y a fort à parier qu’entre ses ambitions de ministre assis à Québec et l’exécution de ces idées dans les 72 commissions scolaires de la province, disons qu’il y a plusieurs strates bureaucratiques qui risquent de tuer lesdites ambitions…

« Oui, mais la transformation des commissions scolaires en centres de service, ça s’en vient aussi, prévient-il. Il y a des pôles décisionnels qui vont passer dans les écoles et au Ministère. Ces centres de service, les anciennes commissions scolaires, elles auront un autre rôle, d’appui et de soutien administratif. Présentement, les commissions scolaires agissent comme des mini-gouvernements et traitent trop souvent les écoles comme des succursales. »

Il rappelle que tout cela a été promis en campagne électorale. « Ce qu’on a dit en campagne, on va le faire. Ça, je le sais, les gens ne sont pas habitués à ça », dit-il, un sourire dans la voix.

***

Je regarde la liste des états de service des ministres de l’Éducation depuis 25 ans. Il y a eu des politiciens habiles et expérimentés dans le lot : Jean Garon, Pauline Marois, François Legault, Jean-Marc Fournier, Michelle Courchesne, Sébastien Proulx…

Je regarde cette liste. Et permettez que je dise un truc que je sais audacieux… Aucun ministre de l’Éducation n’a pris les commandes en étant aussi bien préparé à ce poste que Jean-François Roberge, depuis 25 ans.

Oui, il a été enseignant. Il l’a été pendant 17 ans, dans des écoles primaires de la Rive-Sud, jusqu’à 2014, jusqu’à son élection comme député de Chambly. Il sait ce que c’est d’être prof : il l’était. Aucun ministre de l’Éducation, ces 25 dernières années, n’avait fait carrière comme enseignant au primaire ou au secondaire, aucun ne sortait d’une école avant de s’asseoir à l’Assemblée nationale.

Jean-François Roberge a aussi « pensé » l’école : il a écrit ce livre, Et si on réinventait l’école ?, en plus d’avoir été membre du Conseil supérieur de l’éducation, à la Commission de l’enseignement primaire.

En plus d’avoir été prof, d’avoir réfléchi à l’école, il a aussi cet avantage : il est député depuis quatre ans, il a pu se frotter à la machine bureaucratique et législative. Il a été critique en matière d’éducation. Bref, Jean-François Roberge n’arrive pas à la tête du ministère de l’Éducation sans expérience politique.

Et ministre de l’Éducation, c’est LE poste que M. Roberge voulait. C’est LA raison de son implication en politique.

Alors il y a la préparation de l’homme : prof et député. Mais il y a aussi les conditions dans lesquelles il devient ministre, qui me semblent idéales.

D’abord, son chef a toujours dit l’importance de l’éducation.

Ensuite, le gouvernement caquiste n’hérite pas de finances publiques en désordre : il n’y a pas de compressions dans les écoles à l’horizon.

Et l’éducation semble s’imposer de plus en plus comme priorité des Québécois, de plus en plus inquiets de la tangente que prend l’école : profs surmenés, taux de décrochage inquiétants, notes gonflées, diplomation d’analphabètes fonctionnels…

Le ministre Roberge jouit donc de la préparation et des conditions idéales pour être un bon ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur… Sur papier.

Reste à réussir le test du réel.

***

Tous ces changements vont demander du temps, dit le nouveau ministre. Il évoque l’horizon 2022.

« Je suis pressé de commencer, mais je n’arrive pas avec un bulldozer. Il va falloir écouter le monde – les parents, les profs, les employés de soutien, les directions d’école. Mais je suis avec François Legault depuis le début en 2011, je sais où je m’en vais. On n’arrive pas en se demandant : “Qu’est-ce qu’on pourrait bien faire en éducation ?” Ça va se faire. On va consulter sur la manière, mais pas sur les principes. »

Je lui demande si l’argent va suivre, car c’est bien beau, retaper les écoles et en construire de nouvelles, plus belles ; c’est bien beau, embaucher des orthopédagogues, des orthophonistes, des psychoéducateurs et des travailleuses en éducation spécialisée ; c’est bien beau, ouvrir des classes adaptées pour les ti-culs aux prises avec des troubles d’apprentissage…

« Mais ça prend du cash, Monsieur le Ministre !

— Oui. Je suis appuyé par mon premier ministre. Il dit la même chose depuis 2011, depuis que nous étions une poignée dans son salon pour jeter les bases de la CAQ : l’éducation est une priorité pour relancer l’économie, combattre l’inégalité des chances et préserver notre culture. »

En arrivant au pouvoir en 2012, le premier projet de loi du Parti québécois avait valeur de symbole : le projet de loi 1 visait à contrer la corruption et la collusion, après des années de révélations sur les saloperies en matière de contrats publics.

Quel sera le premier geste du gouvernement de la CAQ pour marquer l’importance prioritaire de l’éducation ?

Là, le ministre est redevenu moins volubile…

« Je ne peux pas le dire tout de suite.

— Vous ne voulez pas ou vous ne le savez pas ?

— Je ne peux pas le dire, a-t-il répondu en riant. Je ne veux pas scorer dans mon but. Les communications, vous savez… »

Jean-François Roberge promet « des projets de loi concrets ». Il aimerait en déposer un dans la mini-session parlementaire d’avant Noël. « Je ne sais pas si ce sera possible. Sinon, dès février. »

Je lui fais remarquer qu’il a de la pression : prof de formation, il a écrit un livre sur l’éducation, il a été critique en éducation. Bref, bien des gens pensent que si lui ne réussit pas à ramener le paquebot-école dans la bonne direction, personne ne le pourra…

« C’est à la fois gentil et lourd à porter, ce que vous me dites ! La pression est là. Ça ne me fait pas peur. Vous savez, j’ai joué au hockey jusqu’au niveau junior… Et là, l’entraîneur vient de me donner une tape sur le casque et il me dit de sauter sur la glace. Je saute et je suis fébrile ! »

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