Science

Dormir dehors, mourir à petit feu

Les sans-abri qui couchent dehors ont un taux de mortalité près de trois fois supérieur aux sans-abri qui fréquentent les maisons d’accueil, révèle une nouvelle étude. L’un des gros problèmes est que ces sans-abri, réfractaires aux maisons d’accueil, développent des problèmes de santé chroniques, comme le cancer ou la cardiopathie, qui sont détectés trop tard pour être traités.

Mourir à 53 ans

En 2000, Jill Roncarati a identifié 445 sans-abri dormant régulièrement à l’extérieur durant la nuit, plutôt que dans un refuge, à Boston. La psychologue de l’Université Harvard les a suivis pendant neuf ans. Pendant cette période, 134 d’entre eux sont morts, à un âge moyen de 53 ans. « Cela signifie qu’ils ont un taux de mortalité 10 fois plus élevé que la moyenne de la population et 2,7 fois plus élevé que la population générale des sans-abri », explique Mme Roncarati, qui vient de publier ses résultats dans la prestigieuse revue JAMA Internal Medicine.

Cœur et cancer

L’hypothermie n’explique pas ce taux de mortalité élevé des sans-abri ne fréquentant pas les refuges la nuit. « Seulement une des 134 morts est directement liée au froid, dit Mme Roncarati. [...] La grande différence, c’est sur le plan des maladies chroniques – le cœur et le cancer. Elles sont diagnostiquées beaucoup plus tard chez les sans-abri qui ne fréquentent pas les refuges la nuit. Même s’il y a des équipes qui les visitent régulièrement et que beaucoup d’entre eux fréquentent des refuges de jour, ils n’ont pas un suivi aussi serré. »

Noirs et femmes

Les Noirs qui dorment à l’extérieur ont un taux de mortalité deux fois moins élevé que les Blancs non hispaniques qui dorment à l’extérieur. « C’est une différence raciale qu’on a souvent vue ailleurs dans des études sur les sans-abri, mais que personne n’a jamais réussi à expliquer, dit Mme Roncarati. Les femmes aussi dans notre étude avaient un taux de mortalité trois fois moindre. Dans ce dernier cas, l’hypothèse souvent retenue est qu’il est moins difficile pour une femme que pour un homme de demander de l’aide pour un problème de santé. »

À Montréal aussi

Le constat de l’étude du JAMA Internal Medicine est probablement similaire à la situation montréalaise, estime Éric Latimer, chercheur de l’Institut Douglas qui a dirigé un dénombrement des sans-abri montréalais en mars 2015. « Je n’ai jamais vu de chiffres, mais c’est ce qu’on entend sur le terrain », dit M. Latimer. Pierre Gaudreau, directeur du Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM), confirme ce constat. « Si on regardait la santé des sans-abri qui dorment à l’extérieur, on trouverait beaucoup de problèmes de santé cardiaque et de cancers non diagnostiqués. »

3016

Nombre de sans-abri à Montréal selon un dénombrement en mars 2015

429

Nombre de sans-abri qui dormaient à l’extérieur à Montréal selon le dénombrement de mars 2015

Source : Institut Douglas

L’alcool dans les refuges

Deux voies s’ouvrent pour s’attaquer aux problèmes de santé des itinérants qui ne dorment pas dans les refuges, selon Mme Roncarati. « Soit on augmente le suivi médical itinérant, mais on en fait déjà beaucoup [...]. Soit on essaie d’en convaincre de dormir dans les refuges. Un certain nombre d’entre eux n’y vont pas parce qu’ils ne peuvent pas se passer d’alcool, de drogue ou de cigarettes pendant toute une nuit. On pourrait penser à des politiques permettant de sortir fumer pendant la nuit sans perdre son lit. Ou alors, à des refuges où il est permis de boire une certaine quantité d’alcool. Il y en a un à Toronto. »

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