Santé et sociofinancement

Un tendance qui soulève des questions

Devant le manque d’accessibilité des services de santé, de plus en plus de Québécois se tournent vers le sociofinancement afin de recevoir des soins. Sur les diverses plateformes en ligne, les demandes se multiplient. Cette tendance soulève néanmoins plusieurs questions, indiquent des experts.

Santé et sociofinancement

Demandes en hausse

Le printemps dernier, un homme vivant en CHSLD, atteint de sclérose en plaques, s’est tourné vers le sociofinancement pour obtenir deux douches supplémentaires par semaine ; il demandait 5200 $. Pour ce cas médiatisé, il en existe de nombreux autres au Québec. Des exemples ? On demande 40 000 $ pour un traitement alternatif offert au Mexique pour le cancer des ovaires, 15 000 $ pour aider une mère de famille monoparentale à prendre soin de sa fille handicapée, 100 000 $ pour un traitement contre la rétinite pigmentaire offert à Cuba, 50 000 $ pour une prothèse pour un homme amputé, victime de la bactérie mangeuse de chair, 25 000 $ pour des traitements d’oxygénothérapie hyperbare destinés à un bambin.

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Un système qui cloche ?

« Dans un contexte où on a un système de santé public assuré par l’État, comment se fait-il que des gens aient besoin d’utiliser le sociofinancement pour accéder à des soins de santé ? Cette tendance est un symptôme d’un problème beaucoup plus large. Notre système de santé n’a jamais été planifié dans une forme rationnelle cohérente, il n’a jamais été soumis à la réflexion collective », indique Bryn Williams-Jones, directeur des programmes de bioéthique et professeur agrégé à l’École de santé publique de l’Université de Montréal. « Le système de santé est un bricolage de différentes décisions politiques dans le temps, qui ne suivent pas une logique éthique. » Il cite ici l’exemple de la fécondation in vitro, qui n’est plus remboursée par la RAMQ. « Ç’avait pourtant été réfléchi, balisé. Un changement de gouvernement est venu tout changer. »

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La sécurité avant tout

Dans l’urgence – et souvent en dernier recours –, plusieurs personnes font appel au sociofinancement pour obtenir des traitements expérimentaux offerts à l’étranger. « Dans plusieurs de ces situations, l’État refuse clairement de payer parce que l’efficacité du traitement n’est pas prouvée et parce qu’on n’a pas les garanties que ce traitement peut être offert de façon sécuritaire », explique M. Williams-Jones. Les données probantes sur l’innocuité d’un traitement sont parfois manquantes et les soins ne sont pas toujours fournis dans les meilleures conditions, rappelle-t-il.

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Trop cher

Il arrive néanmoins qu’un traitement prometteur soit considéré comme trop coûteux par l’État. « C’est le défi que pose le traitement de maladies orphelines, dit M. Williams-Jones. En tant que société, veut-on offrir un traitement de 50 000 $ pour une seule personne ? Quand on voit tous les besoins, cela peut être démesuré. Il faut se poser ces questions en tant que société. On ne l’a jamais fait. »

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Approche marketing

« Pour chaque cas spécial, il y a des milliers de personnes qui vivent la même situation dans l’ombre, précise Bryn Williams-Jones. Si tu n’es pas mignon, dynamique, avec un beau sourire, tant pis pour toi. C’est injuste, on laisse à l’individu la tâche de mobiliser ses réseaux, on entre alors dans les iniquités. Certains n’ont tout simplement pas les compétences, les ressources pour recourir au sociofinancement. » Selon Sylvain Lefèvre, directeur scientifique au Laboratoire montréalais de recherche sur la philanthropie canadienne, à l’UQAM, « la personnalité, l’approche marketing et la nature même du problème de santé peuvent jouer dans la balance ; certaines causes sont plus sexy que d’autres ».

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Émiettement des dons

« Sur les plateformes, les gens donnent pour une personne, une cause et non pour un programme de santé, indique M. Lefèvre. Quand on personnalise les dons, ça crée un émiettement de l’appel aux dons. On ne peut pas compter sur une myriade de petites générosités pour la résolution de problèmes de façon efficace. Ça ne fonctionne que si c’est organisé collectivement. » Si le sociofinancement en santé a la cote, sa croissance a des limites, selon M. Williams-Jones. Le public est aujourd’hui sollicité à toutes les sauces et « il devient émotionnellement épuisé, il ne peut plus donner ».

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Philanthropie dernier cri

« Dans le domaine de la philanthropie, la santé a toujours été importante. De nouveaux instruments sont mobilisés à travers les époques », fait remarquer Sylvain Lefèvre, de l’UQAM. Au début du XXe siècle, des enfants vendaient des timbres à l’occasion des premières grandes collectes de la Croix-Rouge. Dans les années 30, on faisait la quête dans les cinémas, où on diffusait des films de sensibilisation, sur la tuberculose, par exemple. Dans les années 80, on misait sur les téléthons télévisés, énumère le professeur. « La philanthropie se nourrit aujourd’hui des plateformes en ligne. Des questions se posent quant à l’opacité et à la reddition de comptes, mais le législateur s’adaptera et interviendra dans un proche avenir », croit-il.

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