Opinion Claire Durand

Les sondages sont-ils bons pour les électeurs ?

À chaque nouvelle campagne électorale, la question revient. Les sondages ont-ils une influence sur les résultats des élections ?

Amènent-ils les indécis à voter pour le gagnant ? Amènent-ils ceux qui appuient un parti qui ne semble pas avoir de chances de gagner à ne pas aller voter ? Devrait-on interdire les sondages pour s’assurer que les gens votent en fonction des « vrais enjeux » et des programmes des partis ?

L’idée que les sondages puissent amener les électeurs à voter pour le gagnant a préoccupé les électeurs dès les premières campagnes électorales où des sondages ont été publiés. En 1949, George Gallup et Saul Rae (le père du politicien Bob Rae) se sont penchés sur cette question et ont montré que ceux qui prenaient connaissance des sondages ne votaient pas différemment des autres. Depuis lors, de très nombreuses études, y compris au Québec, ont montré la même chose.

Qui lit les sondages ?

La première question qu’on peut se poser est de savoir qui lit les sondages : les indécis qui veulent être « guidés » pour savoir pour qui voter ou, au contraire, les personnes s’intéressant à la campagne électorale qui veulent suivre l’évolution des forces en présence ?

J’ai fait des recherches pour le Québec dans les élections provinciales de 2007 et 2012 et fédérales de 2008 et 2011. Les résultats sont les mêmes dans les quatre élections.

Les personnes qui prêtent attention aux sondages sont en moyenne plus instruites, plus âgées et plus intéressées par la politique.

Ceux qui lisent les sondages les utilisent-ils pour se rallier au gagnant, faire un vote stratégique ou s’abstenir de voter ? Les mêmes recherches ont montré que c’est plutôt le contraire qui se produit. Les personnes qui consultent les sondages ont plus tendance à aller voter et moins tendance à changer d’allégeance que celles qui ne les lisent pas.

Comment expliquer alors qu’il nous semble que le parti en tête récolte souvent plus de votes que ne le prédisent les sondages ? Il s’agit d’une impression plutôt que de la réalité. Dans la plupart des élections québécoises, par exemple, le PLQ reçoit plus de votes que ce qui est prédit, ceci qu’il soit ou non en tête dans les sondages. Le phénomène s’explique surtout par le fait que les partisans des petits partis ont moins tendance à aller voter et plus tendance à changer d’allégeance. Par contre, ce changement d’allégeance ne se fait pas nécessairement en faveur du gagnant présumé. Le phénomène est donc plus relié au choix politique qu’aux prédictions des sondages.

Les gens se sentent-ils influencés par les sondages ?

Pourquoi donc cette impression que les sondages influencent certains électeurs perdure-t-elle dans les médias et dans la population ? Quand on a demandé aux répondants si les sondages avaient eu un impact sur leur décision de vote, de 20 % à 30 % d’entre eux, selon les élections, ont considéré que c’était le cas et que les sondages avaient rendu leur décision soit plus facile, soit plus difficile à prendre.

Qui sont ces « influençables » ? Les jeunes ont plus tendance à considérer que les sondages leur facilitent la vie, particulièrement dans les élections provinciales.

Plus important encore, ceux qui changent d’allégeance – qui décident de voter pour un parti différent de celui pour lequel ils avaient l’intention de voter – ont aussi plus tendance à considérer que les sondages les ont influencés.

Toutefois, ces personnes ne sont pas nécessairement ce qu’on appelle des indécis. Ce sont plutôt des personnes que la campagne électorale influence. Elles ne changent pas nécessairement d’allégeance pour aller vers le parti qui est en tête. Au total, dans les quatre élections mentionnées, environ 13 % des répondants déclaraient avoir changé d’allégeance au moment de voter, mais la somme de ces changements a tendance à s’annuler, ce qui fait que cela n’influence pas les résultats des élections.

En conclusion

Les sondages constituent la seule information scientifique disponible permettant aux électeurs de savoir comment pensent les « autres », ceux qu’ils ne connaissent pas, qui ne vivent pas dans le même environnement ou la même région qu’eux. Lorsqu’on leur demande leur avis, de 60 à 70 % des répondants indiquent qu’ils considèrent que les sondages sont une très bonne ou une assez bonne chose pour les électeurs.

Les sondages sont là pour rester. Les seuls pays où il n’y a pas de sondages sont les dictatures. Dans les pays où on interdit la publication de sondages pendant les campagnes électorales, les sondages sont remplacés par des rumeurs, publiés dans les pays voisins ou disponibles seulement à ceux qui peuvent se les payer. Difficile de penser que cela pourrait contribuer à la démocratie. Étant donné le rôle que jouent les sondages, toutefois, il est essentiel de pouvoir en vérifier la qualité.

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