Chronique

Le pouvoir d’achat baisse-t-il vraiment ?

Il y a une impression générale voulant que la situation des classes moyennes se détériore, que les familles ont de plus en plus de mal à arriver. C’est dans cet esprit que s’inscrit, depuis des mois, toute la démarche de la Coalition avenir Québec (CAQ).

« Quand je fais la tournée du Québec, je rencontre souvent des pères et des mères de famille qui me disent qu’ils ont beau travailler fort, mais qu’à la fin du mois, ils ont de la misère à payer toutes leurs factures », a expliqué le week-end dernier le chef de la CAQ, François Legault.

Je ne doute pas une seconde que c’est cela que François Legault a entendu. Je sais que bien des gens ont du mal à joindre les deux bouts. Je suis aussi conscient du fait qu’ils ont souvent l’impression que leur situation se détériore.

Mais il y a un écart entre ces impressions et ce que nous disent les statistiques.

Nous connaissons, depuis quelques années, une période où les revenus augmentent et où l’inflation est très faible, tant et si bien que le pouvoir d’achat a augmenté de façon honorable, ce que nous n’avions pas vu depuis longtemps. Cela se vérifie, peu importe le genre de données que l’on prend.

Le salaire horaire augmente. En 2012, la rémunération horaire moyenne était de 21,46 $, avec les heures supplémentaires. En 2017, au mois d’août, la plus récente donnée disponible, ce salaire était passé à 23,52 $. Une hausse de 9,5 % en cinq ans.

Pendant ce temps, l’inflation progressait à un rythme beaucoup plus modeste. On a souvent l’impression, au pif, que les prix augmentent d’environ 2 % par année. Ça fait longtemps que ce n’est plus le cas. L’indice des prix à la consommation a augmenté de 0,7 % en 2013, de 1,4 % en 2014, de 1,1 % en 2015, de 0,7 % en 2016, de 0,9 % en 2017. Pour la période de cinq ans, une hausse de 6,2 %.

Le salaire hebdomadaire, lui, est passé de 822,9 $ en 2012 à 904,90 $ en 2017, bien au-dessus de l’inflation. Le gain a été plus marqué pour les trois dernières années, où les salaires ont grimpé de 6,5 % tandis que les prix n’augmentaient que de 2,7 %, pour une hausse du revenu réel de 3,8 %.

On retrouve la même chose avec une autre mesure, celle du revenu médian des familles, qui englobe d’autres revenus que les salaires, ainsi que les transferts des gouvernements. Ce revenu médian est passé de 65 900 $ en 2010 à 75 530 $ en 2015, une progression de 14,6 %.

Une mesure macroéconomique, à partir de la comptabilité nationale, le revenu disponible des ménages par habitant, en termes réels, a suivi la même courbe, passant de 23 784 $ en 2012 à 24 998 $ en 2016, avec une progression plus marquée en 2015 et 2016.

C’est cela qui a permis au ministère des Finances, dans la récente mise à jour budgétaire, de noter que le pouvoir d’achat des Québécois a augmenté de 2,1 % en 2016 et d’un autre 2,1 % en 2017. Cela se traduit par la forte hausse de la consommation des ménages, 3,4 % en 2016 et 4,4 % en 2017, ce qui n’est pas un indice de détresse.

Ces chiffres ne sortent pas de nulle part. Ils sont liés à une importante création d’emplois. En octobre, il y avait 165 000 emplois de plus qu’en octobre 2014. Cela pousse les salaires à la hausse, cela modifie le sort de bien des gens —75 000 chômeurs de moins qu’en 2014, 60 000 bénéficiaires de l’aide sociale de moins. Et il faut ajouter à cela des baisses substantielles d’impôt, gracieuseté du gouvernement Trudeau.

Je ne dis pas que c’est le pactole, mais ces données ne décrivent certainement pas une érosion du pouvoir d’achat, c’est clairement le contraire.

Nous n’assistons pas non plus, comme ce fut le cas aux États-Unis, à une érosion des classes moyennes.

Comment expliquer alors ce sentiment que les choses ne s’améliorent pas ? D’abord parce que, au départ, bien des gens ne roulent pas sur l’or et qu’il faudra pas mal plus qu’une progression du pouvoir d’achat de 2,0 % pendant quelques années pour qu’ils aient la tête en dehors de l’eau. Aussi, parce que les besoins, ou les désirs, augmentent, et souvent plus vite que les moyens. Enfin, parce qu’on se compare et que les inégalités de revenus, pour ceux qui sont du mauvais bord, suscitent un sentiment d’insatisfaction. Ajoutez à cela la tentation populiste, à laquelle le chef caquiste a bien du mal à résister, qui consiste à surfer sur ce sentiment d’insatisfaction, quitte à l’amplifier.

Cela étant dit, M. Legault a tout à fait raison de vouloir améliorer le sort des familles. Mais cet enjeu est de nature économique.

Malgré la croissance forte, malgré la création d’emplois, le Québec n’arrive pas à rattraper le reste du Canada. On le voit avec les statistiques que j’ai citées plus haut. Pour le revenu disponible des ménages, le Québec est la dixième province canadienne, septième pour le revenu total médian des familles, septième pour la rémunération hebdomadaire, sixième pour le salaire horaire.

Ce n’est pas avec des promesses de baisses d’impôt ou des cadeaux natalistes qu’on réussira vraiment à aider les familles, mais en comblant cet écart, et donc en trouvant des solutions à ce grand problème économique que le Québec n’a toujours pas réussi à résoudre.

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