RÉPLIQUE PRODUCTION AGRICOLE

Un filet de sécurité essentiel

La gestion de l’offre permet de répartir plus équitablement la richesse créée entre les maillons de la filière

Vincent Geloso, de l’Institut économique de Montréal (IEDM), affirme dans La Presse+ de vendredi dernier qu’à cause de la gestion de l’offre, les ménages canadiens paieraient 438 $ de plus annuellement que les Américains pour consommer un panier de produits laitiers, d’œufs et de volailles. Selon lui, jusqu’à 190 000 personnes seraient en situation de précarité économique en raison de cet écart.

Cette conclusion de l’IEDM repose sur une hypothèse énoncée dans l’annexe de sa publication : « Nous supposons que les Canadiens auraient pu importer ces produits et épargner la différence de coût entre le panier américain et canadien. » En clair, selon l’Institut, si nous avions un libre marché pour les produits sous gestion de l’offre, les prix pour les consommateurs seraient les mêmes aux États-Unis et au Canada.

La réalité est bien plus complexe. Toute une série de facteurs influencent la formation du prix de détail des aliments. Le prix des denrées agricoles de base n’en est qu’un et, souvent, pas le plus déterminant. D’ailleurs, plusieurs produits qui s’échangent sur un « libre marché » sont plus chers au Canada qu’au sud de la frontière.

Pour illustrer le sophisme de l’Institut, nous avons sélectionné trois productions qui ne sont pas sous gestion de l’offre : le porc, le bœuf et le blé, dont les prix sont basés sur les cours du marché nord-américain et qui sont librement échangés entre les deux pays. Puis nous avons suivi la méthode détaillée dans son annexe et utilisé les mêmes sources de données.

Résultat : il en coûterait aux ménages canadiens 569 $ de plus annuellement qu’aux Américains pour acheter des côtelettes de porc, du bœuf haché et du pain. Et en suivant le raisonnement de l’IEDM, on pourrait conclure que plus de 245 000 Canadiens sont dans la pauvreté en raison de cet écart.

L’IEDM a beau jouir des déductions fiscales réservées aux institutions de charité, sa crédibilité comme défenseur des pauvres est plus que douteuse. Dans notre économie mondialisée et libéralisée, le marché seul qui répartit équitablement les ressources et la richesse et élimine la pauvreté n’existe pas. Sans les filets de sécurité mis en place par les États, et souvent décriés par l’IEDM, l’écart entre les riches et les pauvres et la pauvreté elle-même seraient encore plus grands. C’est encore plus vrai pour les agriculteurs.

Les producteurs de lait néo-zélandais, australiens, européens et américains sont plongés depuis 18 mois dans la crise. Ils encaissent des chutes de prix dans certains cas de plus de 50 %. L’Europe a aboli la gestion de l’offre en 2015 et la surproduction qui en a résulté a saturé les marchés d’exportations et les généreuses subventions de la Politique agricole commune ne suffisent pas à les maintenir à flot. Ce sont des milliards d’euros et de dollars en subventions que coûtera ce marasme aux contribuables de ces pays.

La gestion de l’offre permet de répartir plus équitablement la richesse créée entre les maillons de la filière. Elle assure aux producteurs un plus juste revenu, qui provient entièrement du marché sans coûter un sou aux contribuables. Grâce à elle, le secteur laitier québécois génère 83 000 emplois, ajoute 6,2 milliards au PIB et verse 1,3 milliard de taxes et impôts. Son démantèlement plongerait le secteur dans la crise, comme on le voit ailleurs dans le monde, sans aucune garantie de bénéfices pour les consommateurs.

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