Un journaliste canadien devra éviter le Pakistan

Twitter l’a informé d’une plainte d’Islamabad quatre ans après qu’il a relayé sur le réseau social des caricatures de Mahomet

Un journaliste torontois qui a apparemment suscité l’ire des autorités pakistanaises en relayant il y a quatre ans des caricatures de Mahomet sur Twitter entend éviter le pays d’Asie du Sud par crainte de finir en prison.

« Je n’y suis jamais allé et je n’avais pas le projet d’y aller, mais là, c’est catégoriquement hors de question », a indiqué Anthony Furey en entrevue avec La Presse, hier.

Dans un message qu’il a d’abord pris pour un pourriel, Twitter l’a informé vendredi qu’Islamabad s’était plaint de son message partageant les caricatures, jugeant qu’il contrevenait à des dispositions du Code pénal pakistanais réprimant sévèrement le blasphème.

La firme l’a informé par ailleurs qu’elle n’avait pas pris de décision relativement au contenu contesté et voulait « simplement » l’informer de l’existence d’une plainte à ce sujet.

Twitter met depuis plusieurs années à la disposition des autorités nationales un portail par lequel elles peuvent réclamer l’assistance de l’entreprise pour se renseigner sur un usager donné ou réclamer le retrait de messages problématiques.

La pratique, dit M. Furey, paraît acceptable pour lutter, par exemple, contre la pornographie infantile, mais devient carrément problématique lorsqu’elle sert à relayer les dispositions d’une loi « absurde » comme celle du Pakistan sur le blasphème.

« Le fait que Twitter offre aux autorités pakistanaises un canal pour le faire semble valider la loi », déplore M. Furey, qui s’insurge contre l’idée qu’un gouvernement étranger puisse chercher à restreindre sa liberté d’expression en ligne.

L’entreprise américaine semble notamment vouloir se prémunir contre le courroux des autorités pakistanaises en l’informant de la plainte, relève le journaliste, qui se réjouit de constater que son message initial n’a pas été bloqué.

« Je ne sais pas, cela dit, s’il est bloqué pour les utilisateurs de Twitter qui se trouvent au Pakistan », dit-il.

Ensaf Haidar aussi avertie

La femme du dissident saoudien Raif Badawi, Ensaf Haidar, a aussi été avertie récemment qu’elle faisait l’objet d’une plainte des autorités pakistanaises relativement à un tweet critiquant le niqab.

La militante a écrit dans un message adressé mardi au PDG de Twitter, Jack Dorsey, qu’elle était une « fière Canadienne » qui ne se préoccupe pas de la loi pakistanaise et qui continuera de se « battre pour la liberté ».

« Je m’en fous des lois du Pakistan », a-t-elle indiqué hier à La Presse.

L’entreprise américaine n’a pas voulu répondre directement à nos questions, se contentant de transmettre une série de documents détaillant les suites qu’elle donne normalement aux « requêtes légales ».

Twitter convient que les messages d’avertissement reçus concernant ce type de requête peuvent être « déstabilisants ». Ils visent, précise-t-on, à permettre aux utilisateurs ciblés de « prendre au besoin les actions requises pour protéger leurs intérêts ».

Pierre Trudel, spécialiste du droit des technologies de l’information rattaché à l’Université de Montréal, estime que les interventions controversées de Twitter témoignent des difficultés que la firme éprouve à concilier le caractère planétaire de ses services avec les valeurs divergentes des pays où ils sont utilisés.

La tentation est forte pour les géants de la Silicon Valley d’en arriver ultimement, dit-il, à ne diffuser que le « plus petit dénominateur commun » en matière de contenu pour éviter les ennuis.

L’imposition de pratiques de filtrage pays par pays n’est pas une solution viable non plus, comme en témoignent les critiques qu’essuie Google en développant une version adaptée aux exigences de censure de la Chine.

« Il est très difficile d’appliquer un cadre cohérent » en matière de gestion de contenu, relève M. Trudel, qui reproche aux entreprises de vouloir appliquer des « solutions ad hoc à la tête du client », de manière à protéger leurs intérêts commerciaux.

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