Chronique

Qu’attendons-nous ?

Cela fait 75 ans aujourd’hui que les Québécoises ont obtenu le droit de se porter candidates aux élections. Un droit obtenu en même temps que le droit de vote.

Soixante-quinze ans, c’est une éternité. Et pourtant… Même si bien des progrès ont été réalisés afin de construire une société plus égalitaire, les femmes demeurent encore largement sous-représentées en politique.

Le Conseil des ministres est un « boys club », blanc et homogène. Même si Philippe Couillard avait promis un cabinet comptant au moins 40 % de femmes, les femmes y occupent moins du tiers des places et ne gèrent que 9 % du budget, lui a rappelé le Conseil du statut de la femme. « Il y a longtemps que les femmes ont détenu si peu d’influence au sein d’un gouvernement québécois », écrit Julie Miville-Dechêne dans une lettre où elle presse le premier ministre de rétablir la situation.

On pourrait se dire qu’il suffit de laisser le temps faire son œuvre. Dans le Québec des années 40 et 50, il n’y avait aucune femme élue. En 1961, pour la première fois de l’histoire, il y en a eu une (Marie-Claire Kirkland-Casgrain). En 1976, elles étaient cinq. En 1985, 18, soit 15 % des élus. Puis, au début des années 2000, on a atteint les 30 %.

Si le temps arrange les choses, où est le problème ? C’est que depuis bientôt 15 ans, on fait du surplace. Le fameux plafond de verre semble toujours aussi difficile à défoncer. Si on espère que le temps fasse son œuvre, il faudra attendre au moins 25 ans avant d’obtenir la parité. Cela veut dire 25 ans encore de déficit démocratique. 

Car tant que l’on ne se donne pas les moyens de faire élire un gouvernement égalitaire et diversifié, à l’image de la population, c’est toute la société qui est perdante.

Alors que faire ? On pourrait commencer par discuter sérieusement de quotas au parlement. C’est ce que font de plus en plus de parlements dans le monde pour redresser la sous-représentation historique. Et on constate que le simple fait de discuter de ce sujet controversé peut contribuer en soi à augmenter la représentation des femmes dans les instances parlementaires.

Sans être une solution magique, le recours à des quotas adaptés à notre système électoral peut être un moyen efficace de s’attaquer au problème de la sous-représentation, à condition que ce ne soit pas le seul moyen. La formule la plus adéquate, qui reste à définir au Québec, pourrait en être une temporaire. Il pourrait s’agir de quotas volontaires au sein même des partis politiques comme c’est le cas dans les pays nordiques ou de quotas imposés par une loi. 

On pourrait inscrire dans la Loi électorale le principe de « zone de mixité égalitaire 40-60 », comme l’a déjà recommandé le Groupe Femmes, politique et démocratie. Chose certaine, rien ne sert bien sûr d’imposer des quotas à l’Assemblée nationale si, à la base, on ne favorise pas, dès la petite école, une pleine participation des femmes à la vie politique et si les partis ne se donnent pas la peine de présenter des listes électorales paritaires.

L’argument le plus souvent brandi par ceux qui s’opposent aux quotas est qu’il s’agirait d’une forme de prime à la jupe ou, pire encore, à l’incompétence. Les candidates ne seraient pas choisies en vertu de leurs mérites, mais parce qu’elles sont femmes et qu’il faut bien remplir le quota. Or, des études sérieuses sur le sujet nous disent que c’est faux. En Italie, par exemple, où une loi sur les quotas a été adoptée puis abolie, on a démontré que les candidates choisies en vertu de cette loi n’étaient pas moins compétentes que leurs collègues masculins. 

Au contraire, la qualité des candidatures a été rehaussée grâce à la loi. Les candidates avaient en général plus d’expérience et s’absentaient moins souvent que leurs collègues masculins.

Conclusion des chercheurs : c’est la discrimination et non les compétences qui tend à mettre des bâtons dans les roues des femmes.

Même si les femmes sont tout aussi qualifiées que les hommes, leurs compétences ne sont pas toujours considérées comme elles mériteraient de l’être au sein du « boys club ».

Cette conclusion choque. Car on aimerait croire que, dans la vie, les gens, qu’ils soient hommes ou femmes, blancs ou noirs, ont tout simplement ce qu’ils méritent. Ceux qui travaillent fort et ont du talent réussissent. Et les autres, tant pis pour eux… Quant à la discrimination, il ne s’agirait que de quelques cas isolés. Le sexisme ? Bof ! Un problème de plus en plus marginal, tout au plus.

J’aimerais bien le croire aussi et me convaincre que le recours aux quotas est parfaitement inutile. Le tableau d’ensemble est malheureusement un peu moins idyllique. Soixante-quinze ans après l’obtention du droit de vote des femmes, on voit bien que l’égalité des droits ne suffit pas à garantir une réelle égalité des chances. Cela ne suffit pas à éliminer tout ce qui freine une juste représentation des femmes en politique, que ce soit la discrimination directe ou des entraves plus latentes. Qu’attendons-nous pour aller plus loin et viser une égalité des résultats ?

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