Chronique

Le REM et l’accumulation d’incongruités

La décision de la Caisse de dépôt et placement de ne pas retenir Bombardier comme fournisseur des 212 wagons du Réseau express métropolitain (REM) ne cesse de faire des vagues et entraîne une accumulation d’incongruités qui sont difficilement explicables.

La première de ces incongruités a été évidemment la décision initiale de la Caisse de dépôt d’observer une inflexibilité totale à l’endroit du processus d’appel d’offres qu’elle avait lancé pour déterminer qui serait le fournisseur et l’opérateur du matériel roulant du nouveau REM.

On peut comprendre depuis jeudi qu’Alstom a été en mesure de présenter une offre plus avantageuse que Bombardier puisque la multinationale française va faire fabriquer les 212 wagons du REM dans une de ses usines en Inde, dans ce qu’on désigne comme un pays à faible coût de production.

Cela dit, la Caisse aurait pu mieux remplir sa deuxième grande mission qui est de favoriser le développement économique québécois – rôle qu’elle remplit pourtant de façon admirable avec ses 60 milliards d’actifs investis au Québec – en exigeant justement un pourcentage de contenu québécois dans le processus de fabrication des composantes de son projet d’infrastructure.

Comme les Américains, les Européens ou les Chinois l’exigent sans vergogne et sans qu’on leur en tienne rigueur.

La Caisse, qui profite d’un large et généreux soutien des gouvernements canadien et québécois pour le financement de son projet, aurait pu utiliser une fraction de cette aide financière publique pour favoriser l’option plus coûteuse de privilégier un produit Bombardier fabriqué au Québec plutôt qu’un produit français fabriqué en Inde.

Lors de la première pelletée de terre de jeudi, Michael Sabia, PDG de la Caisse, a affirmé qu’aucune usine québécoise n’était outillée pour réaliser l’assemblage des wagons du REM, excusant ainsi Alstom d’avoir choisi un site indien et insinuant que l’usine de La Pocatière de Bombardier n’aurait pas été en mesure de réaliser la commande.

Il y a trois semaines, Benoit Brossoit, président de Bombardier Transport, division Amériques, m’avait pourtant dit tout le contraire en m’expliquant que la force de l’usine de La Pocatière était sa polyvalence puisqu’elle est en mesure de réaliser les commandes de toutes formes de matériel roulant : wagons de train, métro, tramway.

Le premier ministre Couillard a d’ailleurs lui aussi contredit les assertions de Michael Sabia, hier, en affirmant que l’usine de La Pocatière aurait été en mesure, techniquement parlant, de fabriquer les wagons du REM.

Coûts budgétés et coûts réels

Il est par ailleurs curieux que la Caisse ait décidé d’observer de façon aussi scrupuleuse le verdict de l’appel d’offres sur les coûts du matériel roulant quand on sait que les 6,3 milliards qui sont prévus pour les coûts de construction du réseau du REM vont être irrémédiablement défoncés.

Imaginez, on a appris il y a tout juste deux jours que les coûts de préparation du projet de service rapide par bus sur le boulevard Pie-IX vont coûter 1,3 million de plus que les 9 millions prévus.

On parle pourtant ici d’un projet mineur de voie réservée de 11 km pour les autobus (qui va tout de même coûter 300 millions) qui a été lancé il y a bientôt 10 ans, alors on peut penser que les débordements prévisibles dont le REM va faire l’objet au cours des quatre prochaines années vont être à la mesure du gigantisme du projet…

Enfin, la dernière des incongruités entourant l’attribution du contrat du REM à Alstom a été l’engagement qu’a pris hier le premier ministre Couillard d’adopter prochainement une loi qui garantira à Bombardier l’octroi du contrat de renouvellement des wagons du métro de Montréal.

Bombardier doit compléter d’ici la fin de l’année la livraison d’une première commande de 486 wagons Azur qui remplacent les voitures MR-63 en service depuis l’ouverture du métro en 1966.

La STM prévoyait continuer d’exploiter pour une vingtaine d’années ses 420 voitures MR-73, mais Québec voudrait devancer leur remplacement par des wagons Azur afin d’assurer l’emploi des 600 travailleurs de l’usine de La Pocatière.

Si les intentions du premier ministre Couillard sont louables, cette initiative ne fait que devancer des coûts d’acquisition que ni le gouvernement ni la STM n’avaient prévus.

Il s’agit d’une dépense importante qui aurait pu être évitée si Québec avait posé des exigences minimales de contenu québécois au projet de la Caisse de dépôt pour lequel les contribuables québécois sont des bailleurs de fonds de premier plan.

Pour ma part, après avoir voyagé dans des wagons de Bombardier dans les métros de Londres, New York, Mexico et Toronto et utilisé le monorail automatisé de Bombardier à Taipei ou son TGV à Shanghai, j’aurais bien aimé vivre la même fierté sur le réseau express de Montréal.

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