Opinion : Politique québécoise

Comprendre la révision de la carte électorale

La proposition de retirer, en plus de celle de Westmount–Saint-Louis, la circonscription de Sainte-Marie–Saint-Jacques dans le cadre d’un redécoupage de nombreuses autres circonscriptions et de l’ajout d’une nouvelle circonscription de Ville-Marie a suscité une mobilisation certaine. Aussitôt qu’il a appris la nouvelle, Québec solidaire, qui avec deux députés sur un total de 125 serait durement affecté, s’est dit victime de « gerrymandering » (découpage partisan).

Au Québec, la révision régulière de la carte électorale est depuis 1979 confiée directement par la loi à un organe permanent, indépendant (ses membres étant nommés pour cinq ans par l’Assemblée nationale sur résolution d’au moins les deux tiers des députés), composé d’experts (actuellement un juriste, un géographe et un sociologue) et politiquement neutre : la Commission de la représentation électorale (CRE). Une telle institution correspond au mieux qu’on puisse faire en ce domaine. Aux États-Unis par exemple, ce ne sont pas tous les États, mais une vingtaine seulement, qui disposent d’une redistricting commission. Encore là, environ la moitié de ces commissions sont bipartisanes plutôt que non partisanes.

Les principes que doit appliquer la CRE sont prévus dans la loi électorale, mais, pour bien les comprendre, il faut savoir qu’ils veulent s’ancrer dans la jurisprudence de la Cour suprême relative au droit constitutionnel de vote que garantit la Charte canadienne des droits et libertés.

Le standard mondial veut que ce soit le principe d’égalité de force électorale qui préside à la révision des circonscriptions.

Celles-ci devraient donc compter à peu près le même nombre d’électeurs. Une commission mondiale d’experts, la commission de Venise, indique qu’idéalement les écarts de force ne devraient pas dépasser les 10 %, et que jamais ils ne devraient dépasser les 15 %, sauf circonstances exceptionnelles, telle la présence d’une minorité nationale.

Malheureusement, lorsqu’en 1991 la Cour suprême s’est prononcée sur la question de savoir si l’égalité de force électorale faisait partie du droit constitutionnel de vote, elle a répondu par la négative. Si elle avait répondu par l’affirmative, il aurait été néanmoins possible aux législateurs de déroger à ce principe en vertu de celui de la restriction proportionnelle des droits. Une majorité de juges a pourtant préféré conclure qu'au Canada, un principe de « représentation effective », selon lequel les électeurs des zones rurales peuvent se voir reconnaître une voix plus forte, avait pour effet d’exclure l’égalité de force du contenu du droit constitutionnel de vote.

Des dérogations justifiées

Ce que la Cour suprême a surtout voulu dire, c’est que « des dérogations à la parité électorale absolue peuvent se justifier en présence d’une impossibilité matérielle ou pour assurer une représentation plus effective », de sorte que l’égalité de force électorale ne fait pas partie du droit constitutionnel de vote et que son entorse est une possibilité pour le législateur électoral, non pas une injusticiable obligation. Malencontreusement, ce n’est pas ainsi que l’a entendu le législateur québécois, qui a alors modifié sa loi électorale afin de faire de la « représentation effective » un principe premier.

La logique héritée du patrimoine électoral mondial et, dans une certaine mesure, de l’avis de la Cour suprême, est ici inversée, puisque c’est l’égalité de force électorale qui passe au second plan, les circonscriptions devant être délimitées en fonction de la soi-disant effectivité « en tenant compte de l’égalité du vote des électeurs » plutôt que l’inverse. Des écarts allant jusqu’à 25 % sont ainsi admis a priori.

La CRE est donc instruite de ne pas toucher à la surreprésentation des circonscriptions rurales, sa marge de manœuvre étant réduite pour l’essentiel à la ville et à la banlieue.

En plus de l’effectivité et d’un résidu d’égalité de force, la loi électorale prévoit un troisième critère, d’importance moindre, celui de la circonscription en tant que « communauté naturelle » définie « en se fondant sur des considérations d’ordre démographique, géographique et sociologique ». Outre une accusation de gerrymandering, c’est sur ce troisième et dernier critère qu’a insisté QS. Au-delà du domaine des droits relativement acquis des circonscriptions rurales, et face à une croissance plus grande de la banlieue, les circonscriptions urbaines peuvent vouloir lutter pour leur survie en alléguant de leur qualité de « communauté naturelle ».

Un troisième argument de QS est procédural et veut que la CRE eût dû tenir des consultations supplémentaires sur une proposition qui ne figurait pas telle quelle dans la version préliminaire de son rapport qui a fait l’objet des premières et obligatoires consultations. C’est en 2001 que la loi électorale a été modifiée afin de permettre à la CRE de tenir des auditions supplémentaires sur un ou plusieurs projets de modification à son rapport préliminaire « si elle le juge nécessaire ».

En vertu de la loi, cette décision lui appartenait, ainsi que vient de le juger la Cour supérieure. Dans la version révisée de son rapport, la CRE motive de manière plutôt détaillée la modification de sa proposition initiale qui, pour l’essentiel, a toujours été de retirer une circonscription à l’île de Montréal. À l’heure actuelle, celle-ci est en partie surreprésentée, 17 de ses 28 circonscriptions ayant un nombre d’électeurs inférieur à la moyenne québécoise. Après avoir envisagé un tel retrait dans une partie beaucoup plus culturellement diversifiée de l’île, puis tenu des auditions dans la région, la CRE estime que « sa proposition révisée répond davantage aux préoccupations des citoyens, des députés et des organismes, en assurant un meilleur respect des communautés naturelles et du sentiment d’appartenance des citoyens à leur communauté ».

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