SCHIZOPHRÉNIE

La réalité virtuelle à la rescousse

Les thérapies qui ont recours à la réalité virtuelle se sont multipliées ces dernières années. Écrans géants, voûtes immersives, lunettes et casques permettent aujourd’hui de traiter des stress post-traumatiques, des phobies, des dépendances et même d’évaluer des délinquants sexuels. L’Institut Pinel a d’ailleurs élaboré, cet été, un programme pour traiter la schizophrénie au moyen de projection d’avatars qui semble très prometteur.

L’intérêt pour les thérapies de réalité virtuelle – qui n’ont rien à avoir avec l’univers imaginé par Stanley Kubrick dans Orange mécanique – est bien réel. À mesure que les technologies évoluent, les cyberthérapies deviennent de plus en plus accessibles. D’ailleurs, en novembre prochain, la clinique Medipsy accueillera, à Montréal, tout patient souhaitant venir à bout de ses phobies par le recours à la réalité virtuelle. La clinique InVirtuo à Gatineau offre également ces thérapies aux particuliers.

Les premières thérapies par la réalité virtuelle ont d’abord été développées aux États-Unis dans les années 90 pour traiter des phobies comme la peur des avions ou des hauteurs. Mais elles demeuraient, jusqu’à tout récemment, peu accessibles et dispendieuses.

Au Québec, un nouveau programme a été développé cet été au laboratoire de réalité virtuelle de l’Institut Philippe Pinel, à Montréal, et vise à traiter des schizophrènes pour qui les antipsychotiques sont inefficaces.

« L’objectif est d’entrer en dialogue avec leurs hallucinations », a expliqué à La Presse Stéphane Potvin, chercheur au laboratoire de réalité virtuelle de l’Institut Pinel. « On recrée le phénomène hallucinatoire avec des logiciels, c’est-à-dire qu’on crée un avatar avec la voix qui persécute le patient, selon la description qu’il nous en fait », précise celui qui est également titulaire de la chaire Eli Lilly de recherche en schizophrénie.

Le patient pourra ensuite s’installer dans la voûte immersive, une sorte de cube composé d’écrans où est projeté le personnage. Le traitement consiste en un jeu de rôle sophistiqué où le psychiatre parle au patient à travers l’avatar. « On veut inciter le patient à ne pas se laisser abattre. Il est encouragé par le psychiatre à tenir tête aux voix », ajoute M. Potvin.

Une première expérience réalisée en Angleterre sur des ordinateurs (et non une voûte immersive) a déjà donné des résultats intéressants. Plusieurs patients ont constaté une diminution de la fréquence de leurs hallucinations auditives et certains ont même cessé d’en avoir.

La Fondation Pinel lancera une campagne de financement pour ce nouveau traitement cette semaine et devrait en profiter pour faire le point sur les résultats préliminaires.

PANOPLIE DE CYBERTHÉRAPIES

Outre la recherche sur la schizophrénie, le laboratoire de l’Institut Pinel travaille aussi sur des projets de recherche sur les délinquants sexuels afin d’évaluer les risques de récidive. Les chercheurs tentent notamment d’évaluer le niveau d’empathie, d’impulsivité et l’excitation sexuelle de leurs sujets.

Patrice Renaud, cofondateur du Laboratoire de cyberpsychologie de l’Université du Québec en Outaouais (UQO) et directeur du laboratoire Applications de la réalité virtuelle en psychiatrie légale de l’Institut Pinel, a notamment conçu avec ses collaborateurs un protocole où des avatars sont projetés pendant que le regard du patient, ses activités cérébrales et même la circonférence de son pénis sont analysés.

L’objectif est de pouvoir utiliser prochainement ces protocoles à des fins d’évaluation clinique.

L’Université du Québec en Outaouais, à laquelle est associé M. Renaud, compte également son laboratoire de réalité virtuelle et possède une des 10 voûtes à six faces qui existent dans le monde. Le laboratoire s’intéresse entre autres aux joueurs pathologiques. Ces derniers sont alors plongés dans un casino virtuel où les nombreux stimuli font vivre des émotions bien réelles afin qu’ils apprennent à contrôler leurs pulsions.

PLUS PRATIQUE, MAIS PAS PLUS EFFICACE

Les cyberthérapies qui traitent les phobies ou l’anxiété ont été très étudiées. Selon Martin Drapeau, professeur de psychiatrie à l’Université McGill et cofondateur de la clinique Medipsy, les recherches suggèrent que les thérapies avec réalité virtuelle ont sensiblement le même taux d’efficacité que les thérapies traditionnelles. « Mais le vrai avantage est que c’est surtout plus pratique », souligne Martin Drapeau.

« Dans le cas des délinquants sexuels, l’avantage de la réalité virtuelle est évident », affirme le chercheur Matthieu J. Guitton, de la faculté de médecine de l’Université Laval, et dont les recherches portent sur les comportements humains dans les espaces virtuels.

« Pour évaluer si un patient n’est pas capable de contrôler ses pulsions, on ne peut pas le mettre au milieu d’une école. Mais on peut le mettre dans une école virtuelle. C’est un environnement contrôlé. Au pire, il y a seulement quelques pixels qui sont choqués. »

— Matthieu J. Guitton, chercheur, faculté de médecine de l’Université Laval

« On gagne en flexibilité », renchérit Stéphane Bouchard, codirecteur du Laboratoire de cyberpsychologie de l’UQO et président de la clinique InVirtuo.

« On n’a plus besoin d’aller à l’aéroport pour traiter la peur de l’avion. Si on veut exposer un patient arachnophobe, la réalité virtuelle permet de contrôler le comportement des araignées », dit-il.

Les voûtes, qui sont très onéreuses, sont surtout utilisées en recherche. Mais on peut traiter plusieurs troubles avec des écrans d’ordinateur ou des visiocasques. Comme le souligne Matthieu J. Guitton, la sortie des lunettes Oculus Rift de jeu virtuel prévue en 2016 au coût de 300 $ devrait contribuer à démocratiser encore davantage les cyberthérapies.

« On ira de plus en plus vers des systèmes légers, et il y aura moins de voûtes, car c’est très lourd », dit-il.

Mais le jour où la technologie remplacera un psychiatre n’est pas encore arrivé, affirme Stéphane Potvin de l’Institut Pinel. « Une bonne entrevue psychiatrique reste ce qui est le mieux. »

« On utilise la réalité virtuelle pour faire la même chose que dans la vraie vie, ajoute le président d’In Virtuo Stéphane Bouchard qui est convaincu que le potentiel de la réalité virtuelle est encore sous-estimé. Un patient qui a peur des hauteurs, on l’amène au bord d’un vrai précipice ou d’un précipice virtuel, mais on pourrait lui demander de se lancer dans le vide virtuel pour travailler sa confiance, illustre-t-il. On espère que dans quelques années, les traitements par la réalité virtuelle seront encore plus efficaces. »

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