Pierre Karl Péladeau et la critique

Claude Bisson, qui porte le titre obscur de « jurisconsulte de l’Assemblée nationale », est tout aussi obscur pour le public.

L’homme est pourtant dans le milieu juridique une sorte d’éminence grise universellement respectée. Ce n’est pas seulement un homme au jugement sûr et pondéré, c’est un homme d’une affabilité rare. En un mot, un sage.

Quand il a pris sa retraite comme juge en chef de la Cour d’appel, après 27 années de magistrature, il a aussitôt été nommé à deux postes qui, à eux seuls, disent l’estime qui l’entoure.

Ottawa l’a nommé commissaire enquêteur du Centre de surveillance des communications. Le jour même, une Assemblée nationale dominée par le Parti québécois le nommait jurisconsulte. Un mandat de 5 ans qui dure… depuis 19 ans.

Le jurisconsulte donne des avis confidentiels aux députés sur des questions d’éthique. Il arrive qu’il soit consulté par les médias sur des questions d’éthique politique en général.

Le juge Bisson n’a pas dû démériter, lui qui a traversé plusieurs crises sous la gouverne de cinq premiers ministres de deux partis…

C’était avant l’arrivée de Pierre Karl Péladeau.

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Est-ce dans son caractère ? Est-ce cette trop longue habitude de tout décider et de se faire admirer dans la salle du conseil de son entreprise ?

Toujours est-il que M. Péladeau est, comment dire ? Particulièrement sensible aux reproches…

En fait, on aura rarement vu dans le paysage politique quelqu’un réagir avec autant d’impatience publique, j’allais dire autant de hargne, face à la critique.

Pierre Karl Péladeau ne la prend pas. Ou plus exactement, il la prend très « personnelle ».

Twitter, Facebook, bing, bang, il rend coup pour coup et, surtout, impute des motifs personnels à ceux qui l’agacent.

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Quand des collègues de La Presse appellent ses donateurs du milieu des affaires, il prend ça pour « de l’intimidation » et du « harcèlement ».

C’est assez comique, quand on compile le nombre d’articles de La Presse sur les donateurs du Parti libéral ou sur tous les partis. Mais pour Pierre Karl Péladeau, si un journaliste de La Presse s’intéresse à son cas, c’est parce que Power Corporation est propriétaire du journal.

Le ton et la fréquence de ses lamentations sont inédits.

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Sauf quelques gaffes de débutant, dont sa petite phrase sur l’immigration, à peu près toutes les critiques adressées à Pierre Karl Péladeau tournent autour d’un sujet : ses liens avec Québecor.

Peut-on aspirer à être premier ministre tout en demeurant actionnaire de contrôle du principal empire médiatique du Québec ?

Il faudrait être aveuglé par la mauvaise foi pour ne pas au moins reconnaître qu’il y a là un enjeu éthique fondamental.

M. Péladeau ne le nie pas. Il annonce qu’il placera ses actions de Québecor dans une fiducie sans droit de regard… mais avec interdiction formelle de les vendre.

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Le jurisconsulte Bisson, consulté par les libéraux, répète ce qu’il a dit aux journalistes : une fiducie ne peut pas être « sans droit de regard » si des ordres sont donnés au fiduciaire.

Bien entendu, les libéraux, la Coalition avenir Québec, Québec solidaire et même quelques péquistes veulent utiliser cela pour embêter M. Péladeau. Ça ne change rien au fond de l’affaire et aux principes très clairement établis.

Que fait Pierre Karl Péladeau ? Conteste-t-il la règle ? S’engage-t-il dans un débat sur son bien-fondé ?

Mais non. Il préfère attaquer personnellement le jurisconsulte. Il accuse Claude Bisson d’être en conflit d’intérêts. Pourquoi ? Parce que son fils, Alain Bisson, a été congédié du Journal de Montréal pendant le lock-out de deux ans. Alain Bisson a en effet été condamné avec une dizaine d’autres syndiqués pour « outrage au tribunal » après avoir contrevenu à un ordre de la cour sur les zones de piquetage – des syndiqués étaient entrés dans l’immeuble du journal.

Alain Bisson a depuis été embauché comme journaliste à La Presse. Il y est maintenant cadre. Est-ce une circonstance aggravante pour M. Péladeau ? Sans doute.

Toujours est-il que dans la tête de M. Péladeau, Claude Bisson aurait tordu la loi… pour venger le congédiement de son fils il y a cinq ans.

L’accusation est d’autant plus mesquine que le jurisconsulte a tenu exactement les mêmes propos en 2009, bien avant que M. Péladeau ne songe à faire de la politique. Le ministre qui crée une fiducie sans droit de regard n’a « aucun droit d’être consulté par le fiduciaire, n’a aucun droit de donner des directives », avait-il dit. À l’époque, c’étaient les scandales libéraux qui faisaient la manchette.

De toute manière, il n’y a là rien d’audacieux, c’est la définition même de la fiducie sans droit de regard ! Bref, c’est à peine une opinion, c’est comme ça que ça fonctionne.

Pierre Karl Péladeau n’aime pas cette règle et il a le droit de la contester. Mais non, c’est plus commode d’attaquer l’homme. C’est ce même député de Saint-Jérôme qui parle d’intimidation…

Je ne sais pas ce qu’en pense son nouveau conseiller, Steve Flanagan. Mais me semble qu’on est en droit de s’attendre à une sorte d’élévation, un peu plus loin de la mêlée, un peu plus près des principes, chez un homme qui aspire aux plus hautes fonctions de l’État…

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