Opinion

Et si on dépolitisait la santé

Le gouvernement du Québec n’a pas réussi à assurer l’accès à un médecin de famille à 85 % des Québécois.

Le taux d’inscription auprès d’un médecin de famille était de 79,44 % à la fin de 2017, plus de cinq points derrière la cible de 85 %, avons-nous pu nous lire, mercredi, dans La Presse+, sur la foi de données obtenues par la Coalition avenir Québec grâce à la loi sur l’accès à l’information.

Est-ce un échec ? Un demi-succès ? Y a-t-il des explications à ces résultats ? Vous ne le saurez pas. L’opposition, comme il se doit, dénoncera le gouvernement. « Pour moi, c’est un échec », a donc lancé le porte-parole de la CAQ en matière de santé, François Paradis. Du côté gouvernemental, on parlera des progrès accomplis, ou peut-être que le ministre Barrette renverra la balle aux omnipraticiens. Et nous ne serons pas plus avancés.

Les réactions à cette nouvelle, tout comme le débat déclenché par le cri du cœur des infirmières épuisées, montrent à quel point les débats partisans nous font tourner en rond, et donnent du poids à l’idée que les choses iraient pas mal mieux si on réussissait à dépolitiser la gestion du système de santé.

Un ministre qui n’est pas un médecin

Comment ? D’abord en arrêtant de confier le ministère de la Santé à un médecin ! Ça n’a pas toujours été comme ça. Dans les 25 dernières années, le Ministère a souvent été dirigé par des « civils » – Marc-Yvan Côté, Lucienne Robillard, Rémy Trudel, Pauline Marois, François Legault. Mais depuis 2003, c’est devenu une espèce de tradition, avec Philippe Couillard, Yves Bolduc, Réjean Hébert et Gaétan Barrette. Ça risque de ne pas changer puisque M. Barrette veut se représenter et que la CAQ semble voir le candidat de prestige que serait le DLionel Carman à la tête du Ministère.

Pourtant, ce n’est pas une tradition ailleurs au Canada ni dans les grands pays industrialisés. Pourquoi un médecin ? L’autorité morale et le caractère rassurant d’un « docteur » ? La complexité du dossier ? Il y a d’autres ministères complexe et on ne confie pas invariablement l’Éducation à un enseignant, les Finances à un financier ou les Transports à un ingénieur.

Le rôle d’un ministre de la Santé n’est pas de soigner des gens, mais de présider à des réformes, de fixer des objectifs, d’assurer l’allocation des ressources, ce qui exige des talents qui ne sont pas nécessairement ceux d’un praticien.

Sans compter le fait qu’un ministre-médecin n’a pas le recul nécessaire à l’égard d’une profession médicale qui pèse déjà trop lourd dans le système, et qu’il risque de céder à la tentation du micro-management, de s’occuper de tout, de se mêler de tout.

Transparence et évaluation indépendante

La seconde piste pour dépolitiser la santé, c’est la transparence et la mise en place de mécanismes non partisans d’évaluation des politiques et de l’état du système. 

Le simple fait que la CAQ ait dû passer par la loi sur l’accès à l’information pour obtenir ses chiffres sur le taux d’inscription auprès d’un médecin de famille est un non-sens.

Les données pertinentes sur le système de santé devraient être publiques et accessibles. Ensuite, même si les statistiques sont utiles, même si les objectifs chiffrés sont nécessaires, encore faut-il les analyser et les mettre en contexte. Dans le cas qui nous occupe, on veut comprendre ce 79,44 %. Est-ce que la non-atteinte de la cible tient à des obstacles institutionnels, au manque de participation de certains médecins, aux carences du système d’inscription ?

Il faut aussi aller au-delà du chiffre et vérifier si les patients réussissent à obtenir rapidement un rendez-vous, car il n’est pas très utile d’avoir un médecin de famille qu’on ne peut pas voir. Il faut aussi comprendre ce qui se passe à Montréal, l’endroit où ça ne fonctionne pas, avec un taux d’inscription de 64,84 %. Ça ne peut pas être expliqué uniquement par le ministre, qui voudra défendre son bilan et qui est en conflit avec les omnipraticiens sur la question. Ça prend un organisme neutre et extérieur au Ministère, comme pouvait l’être le Commissaire à la santé et au bien-être que M. Barrette a fait disparaître.

Une agence, plutôt qu’un ministère

La troisième piste, c’est de s’affranchir le plus possible de nos traditions parlementaires qui, à cet égard, sont franchement débilitantes. La notion de responsabilité ministérielle fait en sorte qu’en principe, le ministre est responsable de tout ce qui se passe dans le réseau, et devra, par exemple, répondre à des questions pointues et indignées sur un incident à l’hôpital de Saint-Jérôme ou une liste d’attente en ophtalmologie en Montérégie.

Le bon sens voudrait qu’on distingue les grandes responsabilités de l’État de la gestion quotidienne.

Et que, par exemple, le Ministère, et donc le ministre, ait un rôle de planification, tandis que la gestion du réseau soit confiée à une agence distincte du Ministère. Il y a des pays où la question ne se pose même pas, comme en Allemagne, où le gouvernement définit les grands paramètres, mais ne gère pas directement le réseau. Au Royaume-Uni, dont le système public ressemble davantage au nôtre, le National Health Service, qui dispense les soins, est distinct du Department of Health and Social Care. En Suède, ce sont les villes et les régions qui gèrent les hôpitaux.

Décentraliser, c’est dépolitiser

Ce qui m’amène à la quatrième façon de dépolitiser la santé, la décentralisation, le contraire des réformes de M. Barrette. Ça m’a frappé cette semaine en lisant un article du Devoir sur l’allongement des listes d’attente en chirurgie cardiaque. L’Institut de cardiologie de Montréal, pour opérer 100 patients de plus par année, voudrait ouvrir une cinquième salle d’opération actuellement sous-utilisée, un projet, selon un porte-parole médical, auquel le Ministère serait « réceptif ». Le mot réceptif m’a frappé. Pourquoi tout doit-il passer par le Ministère ?

Pourquoi tout se décide-t-il en haut, avec les goulots d’étranglement et l’arbitraire qui viennent avec ?

Les méfaits de cette centralisation, on les voit dans le débat sur les heures supplémentaires des infirmières, qui se transforme en querelle entre le syndicat et le ministre, quand une bonne partie des solutions ne peuvent sans doute pas être globales et « mur à mur » et devraient se faire au niveau des hôpitaux et des régions. Dans le cas des médecins de famille, il y a clairement une problématique montréalaise, qui a plus de chances d'être résolue à Montréal qu’à Québec. Disons-nous que plus c’est centralisé, plus tout remonte au ministre, et plus ce sera politique !

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