CHRONIQUE POLITIQUE CULTURELLE DU CANADA

TAXER NETFLIX ?
Les faits alternatifs de Mélanie Joly

« Dans le monde, les juridictions se posent la question, comment avoir une taxation. Il n’y a pas un pays au monde qui est arrivé à trouver la réponse parce que les compagnies ne sont pas dans leur juridiction. »

C’est ce qu’expliquait la ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, dans une entrevue, hier matin, avec Paul Arcand, qui la mitraillait de questions sur son refus d’imposer la TPS aux abonnements à Netflix.

Eh bien, c’est absolument faux. À peu près tous les pays industrialisés de la planète appliquent leur taxe sur la valeur ajoutée aux entreprises étrangères qui vendent des services numériques, comme Netflix. À ce chapitre, le Canada est devenu une étrange exception.

C’est tellement généralisé que Netflix, dans les rubriques d’aide de son site web, en parle comme d’une chose parfaitement normale.

« Vous trouverez ci-dessous des réponses aux questions les plus fréquemment posées à propos des taxes sur votre facture Netflix mensuelle.

« Comment le montant des taxes est-il déterminé ?

« Les taux de taxation varient selon le pays, l’État, le territoire et même la ville, et sont basés sur les taux applicables au moment de votre facturation mensuelle. Ces montants peuvent changer avec le temps selon les exigences locales en matière de taxation.

« Les frais mensuels de Netflix comprennent-ils la TVA et la TPS ?

« Oui. À moins qu’il ne soit autrement indiqué. »

Voilà. C’est clair. Et maintenant, voici les résultats du survol rapide que j’ai fait sur diverses plateformes numériques, qui manque de précisions, mais qui donne une bonne idée.

– L’Union européenne, depuis 2015, force les fournisseurs de services numériques étrangers à facturer la TVA aux consommateurs. L’UE a toutefois mis en place un guichet centralisé pour la gestion de la taxe. Et donc, la France, le Royaume-Uni, l’Italie, l’Allemagne, l’Espagne taxent Netflix, comme les 25 autres pays membres.

– Les autres pays européens hors union aussi : la Norvège depuis 2011, la Suisse, à 8 % depuis 2010, l’Islande, à 24 % depuis 2011.

– La Russie s’y est mise en avril 2017, appliquant sa TVA de 18 % à 100 entreprises étrangères, dont Apple, Facebook, Google et Netflix.

– En Asie, le Japon, en 2015, a élargi aux fournisseurs étrangers sa taxe de 8 % qui frappait les fournisseurs japonais, au nom de l’équité. La Corée du Sud les impose à 10 %. L’Inde, depuis 2016, met en place un taux de 15 %.

– En Océanie, la Nouvelle-Zélande, depuis 2016, et l’Australie, ce 1er juillet avec une taxe de 10 %. L’Afrique du Sud, avec une taxe de 14 % depuis 2014. L’Amérique latine est toutefois timide, sauf le Brésil, qui a déposé une loi prévoyant une taxe de 2 % appliquée par les municipalités.

Et n’oublions pas les États-Unis ! Les comparaisons sont difficiles, parce que c’est la seule économie avancée sans taxe de vente nationale. Cependant, comme Netflix est une entreprise américaine, il est facile de lui imposer une taxe de vente dans les États où il y en a une, comme pour n’importe quel autre service. C’est ainsi que plus de la moitié des États américains taxe, de diverses façons, les services numériques : Alabama, Arizona, Colorado, Connecticut, Hawaii, Idaho, Illinois, Indiana, Kentucky, Louisiane, Maine, Minnesota, Mississippi, Nebraska, New Jersey, Nouveau-Mexique, Caroline du Nord, Ohio, Pennsylvanie, Dakota du Sud, Texas, Utah, Vermont, Washington, Wisconsin, Wyoming. Des villes appliquent aussi une taxe à Netflix, comme Chicago.

Et maintenant, après les faits, deux questions.

Pourquoi alors le Canada est-il à peu près le seul à ne pas taxer Netflix ?

Parce que le gouvernement s’est piégé avec une promesse électorale : ne pas augmenter les impôts de la classe moyenne, qu’il interprète depuis de façon simpliste. « M. et Mme Tout-le-Monde ne veut pas voir leurs taxes augmenter », comme l’a dit Mélanie Joly.

La réponse rationnelle est pourtant simple. Il ne s’agit pas d’une augmentation de taxes, mais de l’application normale de nos lois fiscales à de nouveaux produits. Cela répond aussi à un autre principe que défend pourtant le gouvernement, l’équité, puisque cette exemption favorise Netflix au détriment des entreprises canadiennes qui, elles, sont soumises à la TPS et à la TVQ.

Pourquoi Mme Joly a-t-elle pu affirmer avec aplomb qu’aucun pays ne le faisait ? Cela repose sur une confusion, que l’on espère involontaire.

Ce qui est difficile, pour de nombreux pays, c’est d’imposer les profits de ces entreprises virtuelles étrangères, de capter une partie de leur richesse.

La question de la TPS est d’un autre ordre, parce qu’il ne s’agit pas d’imposer Netflix, mais de lui demander de jouer un rôle de simple intermédiaire, en collectant la TPS auprès des consommateurs canadiens pour la remettre au gouvernement. Il ne s’agit pas, en passant, d’évasion fiscale, puisqu’il ne s’agit pas de taxer l’entreprise.

À cette confusion, la ministre en ajoute une autre, beaucoup plus grave, en faisant un lien entre l’exemption de la TPS pour Netflix et l’investissement de 500 millions promis par la multinationale dans la production canadienne. Comme si on avait dit à Netflix : « Ne payez pas la TPS, mais investissez plutôt dans la production. » Ça n’a rien à voir. L’entreprise pourrait parfaitement payer la TPS, comme elle le fait sans se plaindre partout ailleurs, et produire au Canada.

Morale ? Il n’y a pas que le gouvernement américain qui patauge dans la réalité post-factuelle.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.