Opinion : Laïcité de l'État

Plus que jamais, le temps du dialogue

Nous sommes trois anciens députés de l’Assemblée nationale d’allégeances politiques différentes. Nous nous unissons aujourd’hui parce que nous savons que des débats difficiles s’engageront bientôt autour du projet de loi du gouvernement québécois sur le port de signes religieux par certains employés de l’État. 

Nous ne partageons pas nécessairement les mêmes points de vue sur ce sujet. Nous adressons cependant ensemble un message. D’abord, au gouvernement Legault et à toute la classe politique mais aussi à l’ensemble des citoyens : la société québécoise porte collectivement la responsabilité d’orchestrer des débats respectueux et sereins.

Personne n’a envie de revivre les secousses importantes et parfois déchirantes qui ont marqué tant de gens à divers moments depuis 2006.

Notre société s’est divisée, des femmes musulmanes ont été insultées et agressées par des racistes, certaines personnes ont été injustement qualifiées de racistes parce qu’elles exprimaient des inquiétudes légitimes. Nous sommes nombreux à avoir souffert d’un climat délétère qui a laissé des traces.

Le Québec est une société paisible

Le Québec est globalement une société paisible où nous assumons, toutes origines confondues, des consensus importants : la société québécoise est et veut demeurer démocratique. La langue française agit comme un ciment commun. Les droits et libertés de chacun sont reconnus dans des chartes. L’égalité entre les femmes et les hommes est un objectif incontournable et non négociable.

Le processus de laïcisation des institutions publiques est en cours depuis la Révolution tranquille.

L’égalité des droits et des chances passe, entre autres, par la préservation de services publics accessibles à tous. Le Québec est depuis longtemps une terre d’accueil à l’immigration et peu de gens ici souhaitent ériger des murs entre notre territoire et les personnes qui choisissent de s’établir chez nous. Ici se vit et doit donc continuer de se vivre au quotidien un interculturalisme profitable à la majorité francophone, à la minorité anglophone et aux personnes issues de l’immigration.

Tout cela nous rassemble. Est-ce à dire que la société québécoise est parfaite ? Bien sûr que non. Des enjeux majeurs nous confrontent, nous divisent. Pensons aux défis climatiques, aux inégalités persistantes, aux rapports parfois difficiles entre la majorité blanche et les minorités racisées, aux revendications non résolues des nations autochtones.

Nous pourrions allonger cette liste, mais nous voulons surtout rappeler ici que toutes ces questions peuvent et doivent se résoudre par des débats respectueux et sereins comme nous savons si bien le faire lorsque nous en avons la volonté. Nous pensons ici au processus démocratique remarquable qui a conduit la classe politique québécoise à adopter – sans soubresauts majeurs – la loi sur l’aide médicale à mourir.

Éviter les épithètes qui rendent sourds aux points de vue des autres

Les débats qui s’amorceront bientôt pourraient être du même calibre. Si nous choisissons le dialogue plutôt qu’une confrontation stérile, nous pourrons trouver des points de rencontre entre nous. Nous avons le devoir de chercher à comprendre les enjeux discutés et les points de vue adverses. Plusieurs conceptions de la laïcité s’exprimeront et c’est normal. Évitons les épithètes qui rendent sourds aux points de vue des autres.

Allons au-delà des préjugés : il est faux de prétendre que la majorité des francophones est insensible aux discriminations vécues par les minorités racisées.

Non, les femmes musulmanes portant le voile ne sont pas d’emblée les porte-étendards de l’islamisme politique. Donnons à nos débats un peu de hauteur. Tentons d’adopter une loi soutenue par la majorité la plus large possible, tous milieux confondus. La question de la laïcité est complexe et remue beaucoup d’émotions.

Comme pour l’aide médicale à mourir, précédemment citée, ne faisons pas de ce débat de société un objet de luttes partisanes et électoralistes sans fin.

Renforcer la laïcité de l’État et de ses institutions

Et pour commencer, nous suggérons de nous entendre sur l’objectif du projet de loi qui sera bientôt déposé par le gouvernement québécois : renforcer la laïcité de l’État québécois et de ses institutions. Si tel est le but du gouvernement Legault, nous lui rappelons que la laïcité est un tout qui ne se résume pas au port ou non de signes religieux par des employés de l’État. Par exemple, aucun texte législatif ne définit actuellement la laïcité telle que nous la souhaitons pour le Québec. Pourquoi ne pas commencer par là ?

Pourquoi ne pas inscrire une définition de la laïcité dans notre charte des droits et libertés ? Nous en ferions ainsi l’un des principes fondamentaux du vivre-ensemble au Québec.

Pourquoi ne pas statuer enfin sur le sort du crucifix qui est situé malencontreusement au-dessus du fauteuil du président de l’Assemblée nationale, rappelant ainsi une alliance passée en 1936 entre l’Église catholique et l’État que plus personne ne reconnaît aujourd’hui ? Pourrions-nous trouver à ce crucifix un emplacement plus approprié et visible par le public visiteur à l’Assemblée nationale ? Pourquoi ne pas faire de même avec les crucifix qui se trouvent encore au-dessus des fauteuils des juges dans plusieurs cours de justice du Québec ?

Pourquoi ne pas débattre sereinement de ce que plusieurs appellent le compromis Bouchard-Taylor, c’est-à-dire la proposition d’interdire le port de signes religieux aux personnes en situation d’autorité coercitive ? Un juge ou un policier qui porte un signe religieux est-il moins impartial qu’un autre qui s’en abstient ? Sur cette question, quelle place devons-nous accorder aux perceptions et aux symboles ? Doit-on élargir cette interdiction aux personnes qui exercent une autorité morale, comme les enseignants et les autres professionnels de l’éducation, par exemple ? Quelles en seraient les conséquences pour les employés déjà en emploi et pour d’autres qui aspirent à occuper un emploi dans certains services publics ? Comment concilier le droit de chaque personne à une croyance sincère et la nécessaire neutralité des institutions publiques ?

Ces questions sont légitimes. Elles peuvent être débattues dans le calme. Les politiciens, journalistes, chroniqueurs et éditorialistes ont un rôle primordial à jouer dans l’exposé des faits et des enjeux. Nous devons tous adopter un ton et une attitude qui incitent à une véritable conversation, porteuse pour construire le Québec de demain. Plus que jamais, le dialogue !

* Françoise David a été députée de Québec solidaire dans Gouin de 2012 à 2017 ; Geoffrey Kelley a été député du Parti libéral du Québec dans Jacques-Cartier de 1994 à 2018 ; Lisette Lapointe a été députée du Parti québécois dans Crémazie de 2007 à 2012.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.