Clin d’œil

On n’a jamais autant vu Réjean Ducharme que depuis qu’il est mort.

Opinion : Extrême droite au Québec

Se mettre à l’écoute, mais de qui ?

S’inquiétant à juste titre de la croissance de l’activité d’extrême droite au Québec, le maire de la capitale nationale, Régis Labeaume, a appelé à se mettre à l’écoute des « sentiments de la population », à sortir de «  l’aveuglement » et à aborder les sujets « tabous », sans suivre « les opinions de la bien-pensance ».

Le message du maire Labeaume paraît être le suivant : si l’extrême droite progresse, c’est parce qu’elle aurait identifié correctement des sentiments de la population. Le maire le dit ainsi : « On regarde l’extrême droite de haut, mais pendant qu’on fait ça, moi je pense qu’on snobe la population. » (Le Soleil, 23 août 2017) Nous pensons qu’il convient de se montrer extrêmement prudent face aux implications de cette déclaration.

Se mettre à l’écoute de la population pour répondre à ses inquiétudes est louable et témoigne d’un sentiment démocratique. De même, nous ne pouvons que saluer la préoccupation du maire Labeaume à faire barrage à l’extrême droite. Cependant, les termes employés par le maire et le message qu’il essaie de passer rappellent une approche qui a obtenu des résultats inverses à ceux désirés.

L’exemple de la France peut indiquer les erreurs à ne pas reproduire.

En 1984, Laurent Fabius a dit de Jean-Marie Le Pen, leader d’extrême droite français, qu’il posait les « bonnes questions » auxquelles il apportait les « mauvaises réponses ». Le recours à cette approche s’est accéléré après 2002, notamment sous Nicolas Sarkozy : elle consiste en une reprise des thèmes politiques de l’extrême droite en prétendant y apporter des solutions différentes. Le résultat net a été de banaliser les idées d’extrême droite et de porter le Front national jusqu’aux portes du pouvoir. Comment l’expliquer ?

Dicter la ligne d’action politique

L’idée que l’extrême droite poserait les « bonnes questions », ou qu’elle saurait mieux que quiconque comprendre les inquiétudes de la population, comporte en fait un piège extrêmement dangereux : elle nous incite à confier à l’extrême droite le pouvoir de dicter la ligne d’action politique. En lui accordant le pouvoir quasi mystique de savoir, mieux que quiconque (mais comment ? mystère…) ce que veut « la population », nous lui donnons la possibilité de décider des thèmes qui valent la peine d’être débattus dans la sphère publique et de la manière dont nous devrons cadrer ces problèmes. Non seulement alors nous validons sa ligne d’action, mais nous envoyons en même temps au reste de la population le message que, si elle veut se faire entendre, elle doit le faire en passant par l’extrême droite.

Contrairement à ce que pense Régis Labeaume, refuser d’accepter les termes du débat que voudraient nous imposer les groupes d’extrême droite, ce n’est pas « snober la population ». C’est plutôt, d’abord, refuser de réduire « la population » aux sympathisants des groupes d’extrême droite.

La population est diverse, nombreuse et ses inquiétudes sont bien plus vastes que celles de l’extrême droite.

Ne la réduisons pas à ce programme. Mais refuser les questionnements qui nous viennent de ces groupes, c’est également chercher le moyen d’entendre la population sans passer par le filtre douteux qu’est le « signe » de la « montée de l’extrême droite ».

Nous n’avons en effet jamais un accès direct aux sentiments de l’opinion publique : il nous faut toujours construire des outils, des représentations et des signes pour tenter de l’apercevoir. Nous avons recours à des sondages, à des consultations, à des manifestations, à des assemblées de cuisine… tous ces moyens ont des limites. Mais aucun n’est aussi mauvais que de juger des sentiments de la population d’après les succès de groupes qui représentent ce que notre société a de pire à offrir.

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