Chronique

Qu’est-ce qui fait japper le chien de garde des courtiers immobiliers ?

Pas de doute, le chien de garde du courtage immobilier peut être féroce. Il sait montrer les dents contre les services internet comme DuProprio qui grugent le marché des courtiers qui dominent son conseil d’administration.

Mais l’Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec (OACIQ) grogne-t-il aussi fort contre les courtiers qui commettent des fautes au détriment du public qu’il a la mission de protéger ?

Quand je lis le dossier de ma collègue Isabelle Dubé que La Presse publie aujourd’hui, je suis loin d’en être convaincue.

Les nombreuses histoires de clients floués par des courtiers immobiliers font dresser les cheveux sur la tête : problème de moisissures caché par le courtier ; fenêtres et toiture à refaire malgré les allégations du courtier ; infiltration d’eau majeure dont l’acheteur n’a jamais été prévenu…

De vrais cauchemars.

Mais ces consommateurs ont été tout aussi atterrés par la réaction de l’OACIQ face à leur plainte. Certains dossiers ont été fermés, faute de preuves. D’autres courtiers s’en sont sortis avec un simple avertissement ou une obligation de suivre une formation, sans que le dossier se rende sur le bureau du syndic.

Une pichenotte leur aurait fait plus mal.

Même les rares courtiers qui sont traînés devant le comité de discipline s’en tirent souvent à bon compte. Les amendes de 1000 à 12 000 $ par infraction ne sont pas assez élevées. L’OACIQ est le premier à le reconnaître.

« Les amendes imposées n’ont pas toujours l’effet dissuasif souhaité et paraissent insuffisantes aux yeux du public, en particulier lorsque l’amende ne représente qu’une fraction de la rétribution perçue à l’occasion de la transaction visée par une plainte. »

— L’OACIQ, dans un mémoire présenté à Québec

Comme promis dans son avant-dernier budget, le gouvernement planche sur une vaste réforme des lois entourant les services financiers, incluant le secteur immobilier. Un projet de loi devrait être déposé d’ici la fin de la session parlementaire.

Une protection pour qui ?

Québec devrait en profiter pour revoir les mécanismes d’indemnisation du secteur immobilier.

Tout d’abord, il existe un Fonds d’indemnisation du courtage immobilier (FICI) qui indemnise les victimes de fraude de la part d’un courtier. Mais il faut vraiment un cas lourd pour y avoir droit. Et même dans les cas pathétiques, le FICI laisse parfois les victimes sur leur faim, car son plafond d’indemnisation est trop bas. Avec 35 000 $, on ne va pas bien loin en immobilier aujourd’hui.

Prenez le cas de la Fondation Mira qui avait hérité de la maison d’une défunte. Le courtier l’a vendue pour 225 000 $ à sa femme notaire, qui lui a remis 70 % du produit de la vente. Trois mois plus tard, le courtier a revendu la maison pour 343 000 $, privant la fondation d’un profit de 118 000 $. Même si l’OACIQ a reconnu la fraude, le fonds n’a versé que 35 000 $. Même pas le tiers du montant perdu !

Dans les cas moins graves, les clients des courtiers peuvent aussi bénéficier du Fonds d’assurance responsabilité professionnelle du courtage immobilier du Québec (FARCIQ). Mais encore là, ce n’est pas parfait.

En fait, le fonds assure les courtiers lorsqu’ils sont poursuivis pour une omission, une faute non intentionnelle ou une négligence. Mais le client lésé doit se donner le mal de le poursuivre devant les tribunaux, ce qui risque de lui coûter une petite fortune avant même de savoir s’il aura accès à une indemnisation.

Mais le pire, c’est que la bataille n’est pas à armes égales, car la défense du courtier est payée par le fonds d’assurance responsabilité. Deux poids, deux mesures. C’est à se demander si le FARCIQ est là pour assurer la protection du public ou pour assumer la défense du courtier…

À cheval sur la clôture

Depuis 2010, l’OACIQ a le mandat exclusif de protéger le public. Mais le chien de garde est encore perçu, surtout par les courtiers eux-mêmes, comme un organisme de défense de leurs intérêts commerciaux, souligne Québec dans son Rapport sur l’application de la loi sur le courtage immobilier.

Il faut dire que l’OACIQ a déployé beaucoup d’énergie à se battre devant les tribunaux, sans trop de succès, pour prouver que DuProprio exerce des activités illégales de courtage.

L’organisme fait aussi de la publicité pour dissuader les propriétaires de vendre leur maison eux-mêmes ou avec l’aide de l’un des services en ligne d’assistance comme DuProprio, qui ont acquis environ 30 % du marché.

Mais surtout, le conseil d’administration de l’OACIQ ne compte que 3 représentants du public sur 13 personnes. Les autres sont tous des courtiers immobiliers et hypothécaires. Je veux bien croire qu’il faut des experts qui comprennent les rouages du domaine du courtage pour siéger au conseil, mais il est tout de même incroyable que le C.A. soit aussi largement dominé par l’industrie plutôt que par des membres du public que l’OACIQ a le mandat de protéger.

L’OACIQ est d’accord pour faire passer à quatre ou cinq le nombre de membres du public nommés par le ministre. Mais ce n’est pas suffisant, m’a dit Michel Nadeau, de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques.

Idéalement, le C.A. devrait compter autant de représentants du public que de membres de l’industrie, et le président du conseil devrait venir du public, dit l’expert.

Si le but de l’OACIQ est de protéger le grand public, il faut que sa gouvernance le reflète. Sa crédibilité en dépend.

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