Personnalité de la semaine

Brigitte Alepin

Le 1er janvier dernier, alors que nous finissions tous de festoyer pour célébrer l’arrivée de la nouvelle année, la plupart d’entre nous bien au chaud devant de la tourtière, du macaroni au fromage ou des restants de dinde, à l’autre bout du monde, des milliers et des milliers de petits Syriens et autres enfants réfugiés ont reçu en même temps un cadeau. Pendant une heure, ils ont pu écouter à la radio une émission juste pour eux, Radio-DoDo.

Une heure de musique, de messages de réconfort en français et en arabe.

« Le but, c’est de les accompagner pendant une heure jusqu’à ce qu’ils s’endorment », explique la comptable et fiscaliste Brigitte Alepin, idéatrice du projet. 

« Ce qu’on veut, c’est soulager les enfants. »

— Brigitte Alepin

Mme Alepin, qui est notre personnalité de la semaine, est proche de la Syrie et bouleversée par le drame qui secoue le pays. Son nom de famille est celui que son grand-père s’est donné en arrivant à Montréal du Moyen-Orient, il y a 100 ans. Plus simple de se faire appeler par le gentilé de sa ville d’origine, Alep, que par le nom de Béchir Kabacoubji. La coanimatrice de Radio-DoDo, avec l’artiste d’origine syrienne Chadi, est aussi une Alepin : Anne-Marie, la comédienne, la cousine de Brigitte et la conjointe de Biz, le rappeur-écrivain de Loco Locass, qui participe lui aussi à l’aventure.

Le projet, qui vise aussi la distribution de radios et de couvertures, est financé par un grand donateur anonyme. Il est non partisan, neutre, pas question de stresser quiconque avec le conflit. On veut calmer les enfants, leur faire faire de beaux rêves, explique Mme Alepin, qui a acheté une heure de diffusion de Radio Rozana, un diffuseur dans les camps de réfugiés installé à Paris et fondé par des journalistes syriens qui ont fui Damas à cause du conflit.

Mme Alepin, vous l’aurez compris, n’est pas une fiscaliste comme les autres.

Si vous cherchez une conférencière pour convaincre des étudiants en droit, en comptabilité ou en économie que la fiscalité n’est pas cet univers aride et hermétique que l’on caricature, c’est la bonne personne. Pour elle, c’est une passion. Et un univers crucial où se jouent bien des éléments-clés de notre présent et de notre avenir. Parce que la fiscalité, c’est tout ce qui encadre et règle le partage de nos ressources à tous.

Née dans une famille de dirigeants de PME – son père avait une entreprise de tapis –, Alepin a fait un cours de comptabilité à l’UQAM avant d’obtenir une maîtrise en fiscalité à l’Université de Sherbrooke et, plus tard dans sa carrière, une autre maîtrise en administration publique à Harvard.

Ses sujets de prédilection : les abris fiscaux, les échappatoires fiscales et la concurrence fiscale entre les États. Depuis trois ans, d’ailleurs, elle organise une conférence internationale sur la question, Tax Coop, qui a eu lieu à Washington l’an dernier et se déroulera à Dakar cette année.

Une quête de justice fiscale

Même si une bonne partie de son travail se passe à l’abri des regards, dans le cadre de son entreprise Agora Fiscalité, où elle conseille des PME et des organismes publics en matière de fiscalité – elle est régulièrement sollicitée par nos gouvernements –, Mme Alepin est connue du grand public grâce à son premier livre, Ces riches qui ne paient pas d’impôts, paru en 2003 et rapidement devenu un best-seller. On y apprend comment de grandes familles et de grandes entreprises canadiennes réussissent à ne rien payer au fisc, alors qu’entre l’impôt sur le revenu et les taxes à la consommation, le citoyen ordinaire, lui, verse en moyenne 60 % de son salaire à l’État. Un autre de ses livres, La crise fiscale qui s’en vient, sur les multiples facteurs qui ont fait basculer la prépondérance des entreprises vers les particuliers, le temps venu de payer des impôts, a inspiré un documentaire, Le prix à payer.

D’où est venue cette façon très engagée de voir son travail ? 

« J’ai toujours su que je serais un peu artiste. »

— Brigitte Alepin

Une professeure à l’école lui avait prédit que même si elle devenait comptable, ce serait pour défendre une cause, celle de l’égalité.

Aujourd’hui, elle rêve de faire aimer la fiscalité, par le truchement de l’enseignement. Sur sa table de travail, il y a des demandes d’admission au doctorat pour creuser la question des fondations privées. Elle aimerait devenir professeure. Embarquer les jeunes dans sa quête de justice fiscale. Surtout qu’avec l’arrivée de Trump, ce dossier risque d’être encore plus d’actualité.

Le nouveau président américain veut en effet diminuer les impôts des entreprises aux États-Unis, pour encourager la création et le retour, peut-être, de sociétés américaines en Amérique. On parle de baisses importantes. De 45 à peut-être 20 % ou même 15. S’il fait cela, les autres pays qui ont des taux d’imposition pour les entreprises plus bas, comme le Canada, devront s’ajuster. « Je crois que ça va déclencher une vague de concurrence fiscale », dit Mme Alepin. On peut donc penser à une baisse des taux d’imposition des sociétés ici aussi. « Il va falloir être vigilant, note-t-elle… Et je crois que M. Trump sera un concurrent extrêmement agressif. »

Brigitte Alepin en six temps

Le personnage qui m’a le plus marquée

Un jeune prêtre que j’ai vu prier à la cathédrale Notre-Dame de Paris à la suite d’une tuerie. En toute simplicité, il conversait avec son divin et il me faisait penser à Jésus tel que je me l’imagine.

Le personnage qui m’a le plus inspirée

Beethoven, parce qu’il a écrit des musiques éternelles alors qu’il était sourd.

Un adage que j’aime bien

« Pourquoi devenir quelqu’un quand on peut être soi-même ? », de l’écrivaine française Catherine Enjolet.

Le livre qui m’a le plus marquée

Leadership on the Line – Staying Alive Through the Dangers of Leading, de Ronald Heifetz et Marty Linsky.

Mes films préférés

A Beautiful Mind, 12 Angry Men, et évidemment Le prix à payer.

Si je manifestais ?

Je manifesterais pour rétablir la justice fiscale et j’écrirais sur ma pancarte : « Veux-tu d’un monde où les milliardaires et les multinationales paient peu ou pas d’impôt ? »

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