OPINION

Enfants adoptés, enfants oubliés

On se doit d’offrir à ces derniers la même présence parentale que celle à laquelle les autres enfants québécois ont droit

Cette semaine, le Conseil de gestion du Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) dresse un bilan des 10 années d’existence du programme.

Oui, ce programme a permis au Québec de mieux soutenir ses nouvelles familles et de faire une place plus grande aux pères auprès de l’enfant nouvellement arrivé dans la famille. Cependant, il a complètement oublié un petit nombre d’enfants qui ont pourtant un criant besoin de temps avec leurs nouveaux parents : les enfants adoptés.

Ceux-ci sont les seuls enfants de la province à ne pas pouvoir bénéficier d’un an de présence parentale intensive à leur arrivée dans leur famille. Alors que les parents biologiques comptent sur un total maximal de 55 semaines de revenus pour prendre soin de leurs enfants, le RQAP offre un soutien de seulement 37 semaines partagées entre les adoptants.

L’enfant adopté, peu importe son âge, a inévitablement vécu au moins une séparation avec sa mère d’origine qu’il reconnaissait déjà au moment de son premier souffle. Ce deuil laisse des traces. Certains enfants auront ensuite vécu en orphelinat, dans une famille d’accueil et même dans plusieurs familles avant de se retrouver dans leur famille permanente. Ce trajet laisse aussi des traces.

Comment l’enfant peut-il croire que la famille adoptante qui prend désormais soin de lui n’est pas une autre famille de passage ?

Le temps passé à prendre soin de l’enfant adopté, à répondre à ses besoins, à communiquer douceur et affection et à le rassurer est le seul moyen de renforcer cette conviction que ses nouveaux parents seront là pour toujours. C’est cela qui permet de créer un lien d’attachement mutuel réel. Plus l’enfant a vécu d’abandons, plus long sera le chemin.

Chaque jour, chaque semaine, chaque mois de plus auprès de son enfant, fait toute la différence. Cela sans compter qu’un service de garde peut drôlement ressembler à une autre famille ou un autre orphelinat… Il faut donc repousser autant que possible l’entrée à la garderie pour permettre au lien d’attachement d’être suffisamment solide pour vivre cette nouvelle étape de séparation temporaire.

Première année charnière

La première année après une adoption est un moment charnière pour le bien-être actuel et futur de l’enfant adopté et de sa famille. Le consensus des experts voulant qu’il faille au moins un an de présence parentale intensive à la suite de l’accueil d’un enfant adopté est sans équivoque. Pourtant, je le répète, ils sont les seuls enfants du Québec qui n’ont pas le privilège d’avoir leurs parents avec eux pendant la première année de leur arrivée dans leur famille.

Qui plus est, plusieurs enfants, au moment de leur adoption, apporteront aussi dans leur bagage une histoire de négligence, de sous-stimulation, de malnutrition ou de violence. Ils méritent d’autant plus que notre société les soutienne et leur offre toutes les chances possibles de devenir des citoyens épanouis malgré un départ difficile et différent. Ils méritent en fait d’avoir les mêmes chances que tous les autres enfants du Québec.

Oui, le RQAP vise avant tout les travailleurs et est un régime de remplacement de revenus à la suite de l’arrivée d’un enfant. Toutefois, si le Québec a pu rapatrier cette responsabilité autrefois entre les mains du gouvernement fédéral, c’est parce que le RQAP va plus loin que la simple assurance-emploi. Il est plus généreux, car il se veut aussi un programme de soutien aux familles.

Dans un tel contexte, ne devrait-il pas soutenir équitablement toutes ses familles ? Est-il normal qu’une seule catégorie d’enfants soit traitée différemment de toutes les autres ?

Cela est d’autant plus incompréhensible qu’ils ne sont que quelques centaines par année dans cette situation et que l’impact financier d’en prendre mieux soin est minime dans ce programme déjà autofinancé.

Il faut que cette iniquité cesse. Il faut offrir aux enfants adoptés la même présence parentale que celle à laquelle les autres enfants québécois ont droit.

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