Champignons à la rescousse
Envoyer ses vêtements au site d’enfouissement ou bien les transformer en matériau de construction durable et compostable ? David Dussault a choisi son camp.
Voilà déjà quelques années que ce mycologue concentre ses recherches sur la dégradation des textiles grâce aux champignons. Plus précisément grâce au mycélium, cette portion végétative filamenteuse qui se retrouve sous terre – la portion que l’on mange est en réalité l’organe sexué du champignon.
Le mycélium a ceci de particulier qu’il agit comme un « système digestif inversé », explique M. Dussault. C’est-à-dire que plutôt que digérer la matière lui-même, il répand « un barrage d’enzymes » qui s’en charge.
Le résultat est fulgurant : les hydrocarbures les plus tenaces peuvent ainsi être « digérés » ou, plus simplement, recyclés. Il en va donc de même pour les plastiques et les textiles synthétiques qui en sont constitués et qui composent l’écrasante majorité des vêtements sur le marché.
Nylon, polyester, polyuréthane : il n’y a pas vraiment de défi que le mycélium ne puisse relever.
« Nous nous sommes demandé quels décomposeurs étaient capables de dégrader ces textiles. Pour moi, ç’a été un déclic assez évident de me tourner vers les champignons », résume le chercheur.
« Si on arrive à dégrader les fractions les plus récalcitrantes des produits pétroliers, ça donne une idée qu’on pourra dégrader des fibres synthétiques. »
— Le chercheur David Dussault
La fascination de David Dussault pour le règne des mycètes, qui comprend les champignons, ne date pas d’hier.
Se décrivant comme un amateur de champignons depuis son enfance, il a axé sur la mycologie son doctorat en sciences environnementales à l’UQAM.
« Les champignons sont omniprésents dans la nature ; toutes les plantes de la planète ont une relation avec eux. C’est la base de tellement de choses », énumère le chercheur.
Ce n’est donc pas un hasard s’il a acquis en 2016 une ferme de champignons, qu’il a rebaptisée Mycologies, à Saint-Ours, en Montérégie. Il y développe des dizaines de variétés, tant pour ses recherches qu’à l’intention du public, qui peut acheter en ligne du mycélium en fragments ou en seringue pour en faire la culture à la maison.
Depuis 2013, M. Dussault travaille également de concert avec Certex, plus importante entreprise québécoise de récupération de textiles. C’est cette collaboration qui a mené à l’usage des champignons pour éviter que des quantités considérables de vêtements soient envoyées dans des sites d’enfouissement, chez nous ou en Afrique, continent où sont expédiées chaque année des tonnes de vêtements usagés délaissés par les Québécois.
La « recette » préconisée n’est pas en soi très complexe. En résumé : on mélange du textile avec une matière organique (par exemple, des résidus agroalimentaires), on y ajoute du mycélium, on stérilise et on laisse le temps faire son œuvre.
En quelques jours, sinon quelques semaines, selon la nature et le volume du textile à décomposer, le « mélange » se transformera en une matière visqueuse blanchâtre, complètement compostable si elle est laissée dans la nature.
On peut parler d’un sérieux gain d’efficacité – c’est peu dire – par rapport à la décomposition naturelle des textiles synthétiques dans la nature, qui prend des centaines d’années.
Mais pourquoi s’arrêter en si bon chemin ?
Quand cette matière se solidifie, elle devient inerte et prend essentiellement la texture de la styromousse. Ce mycélium durci est résistant aux chocs et ignifuge, mais surtout, il est lui aussi compostable.
Des entreprises américaines commercialisent déjà ce matériau. C’est notamment le cas d’Ecovative Design, qui a notamment travaillé avec le géant Ford pour développer des pare-chocs et des pièces de protection pour le secteur automobile.
Cette société biotechnologique produit toutefois son mycélium à partir de résidus agroalimentaires. Utiliser les textiles comme « base » serait donc une première, estime David Dussault.
Dans son laboratoire situé au Jardin botanique, où il poursuit des recherches dans le cadre de son postdoctorat à l’Université de Montréal, M. Dussault nous présente le prototype qu’il a développé : un pot de fleurs, « moulé » avec les moyens du bord.
Mais ce n’est qu’un début, assure-t-il. Déjà, il voit la possibilité de remplacer la styromousse dans l’emballage, de créer des produits d’isolation de bâtiments…
Il s’enthousiasme à l’idée d’exporter cette technologie propre et low-tech, en ce sens qu’elle pourrait être ultimement utilisée assez facilement par des particuliers à la maison.
« Les possibilités sont infinies ! », s’exclame-t-il.
« J’aime beaucoup la maxime anglo-saxonne When there’s a will, there’s a way. Quand il y a la volonté, on peut tout faire, dit-il. Le défi, maintenant, c’est de sensibiliser les gens à avoir cette volonté. »