Médecine

Antidouleur virtuel

Le Centre de recherche du CHU Sainte-Justine lance un projet novateur : utiliser la réalité virtuelle pour diminuer la douleur et l’anxiété des enfants qui viennent subir certaines procédures. Jihane, qui s’est cassé l’auriculaire en jouant au basketball, a enfilé le casque de réalité virtuelle et a essayé le jeu, qui fait actuellement l’objet d’un projet-pilote. Récit de son expérience.

UN DOSSIER DE CATHERINE HANDFIELD ET DE DAVID BOILY

« Je n’ai rien senti ! »

À la suite d’une fracture d’un auriculaire, Jihane Chahboune a pu essayer le jeu de réalité virtuelle Dreamland lors d’une étape de son traitement au Centre hospitalier universitaire (CHU) Sainte-Justine.

Dans un autre univers

La Dre Mathilde Hupin est chirurgienne orthopédique pédiatrique spécialisée en main et membre supérieur au CHU Sainte-Justine. Quand un enfant se fait une fracture, l’une des techniques utilisées consiste à installer des broches, de fines tiges métalliques qui permettent de fixer l’os dans la bonne position. Les broches, qui sortent de la peau, doivent être retirées après trois, quatre semaines, une fois la fracture guérie.

Aussi simple et rapide soit-il, le retrait des broches fait souvent bien peur aux enfants.

« On leur donne une petite tape dans le dos et on essaie de les distraire comme on est capable », explique la Dre Hupin, qui souligne que ce serait à la fois complexe, coûteux en temps et possiblement inutile de donner un analgésique aux enfants pour cette procédure (« un Tylenol ou un Advil n’aide pas vraiment pour l’anxiété »). Des enfants qui font le bacon quand arrive le temps de retirer les broches, la Dre Mathilde Hupin en a croisé dans sa pratique.

C’est exactement le type de soins qu’une équipe du Centre de recherche du CHU Sainte-Justine, dont la Dre Hupin fait partie, pense pouvoir améliorer avec le projet Dream.

Le projet Dream consiste à faire jouer les enfants de 7 à 17 ans à un jeu de réalité virtuelle pendant des interventions médicales potentiellement douloureuses. Le bassin d’interventions pourrait s’élargir éventuellement, mais pour l’instant, le projet s’adresse aux enfants ayant une blessure traumatique (retrait de broches ou de points de suture, installation de plâtre) ou une brûlure (changement de pansement).

Un volet pilote a débuté en juillet pour s’assurer que le projet est faisable et acceptable. D’ici un an et demi, un essai clinique devrait être lancé pour tester l’efficacité de la réalité virtuelle contre la douleur et l’anxiété.

« On voulait rendre le processus médical plus humanisant en offrant une option non pharmacologique, explique Sylvie Le May, infirmière et chercheuse principale. Ce sont de procédures qui ne durent pas longtemps, mais qui sont anxiogènes. Ça peut être douloureux, oui, mais c’est surtout beaucoup d’appréhension. » Qui plus est, rappelle-t-elle, des études ont montré que plus l’anxiété est élevée, plus la douleur l’est aussi.

« Le but, résume-t-elle, c’est vraiment de dévier l’attention de la procédure. »

Capter l’attention de l’enfant

Au-delà de la télévision, de la tablette et du téléphone, la réalité virtuelle a le don de capter l’attention, souligne le Dr Jean-Simon Fortin, médecin d’urgence et propriétaire de l’entreprise Oniric Interactive. Il assure la partie technique du projet et le lien entre le CHU Sainte-Justine et l’équipe de développement du jeu. La réalité virtuelle permet aussi de couper l’enfant du son ambiant de la salle (dont les pleurs des autres enfants !) et de sortir les instruments de chirurgie à l’abri du regard des petits, dit-il.

« On coupe complètement l’enfant du monde dans lequel il est pour l’envoyer ailleurs », résume le Dr Jean-Simon Fortin.

Cet « ailleurs », c’est l’univers du jeu Dreamland, créé spécialement pour le projet par une équipe de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue. Utilisé avec le casque de réalité virtuelle Oculus Rift, le jeu Dreamland consiste à lancer des balles rouges sur des ballons, des diamants et des caissons et d’accumuler des points, à son rythme, sans pression.

« Ce n’est pas comme un jeu commercial où on peut échouer et où on est obligé de recommencer ; c’est un jeu sans échec », explique le Dr Fortin. Le jeu tâche aussi d’atteindre un juste équilibre entre l’engagement de l’enfant (maintenir son attention) et son confort (limiter les risques d’étourdissements ou de nausées), dit-il.

À ce stade-ci du projet-pilote, la réception des enfants est très bonne, « mieux qu’on espérait », se réjouit Sylvie Le May.

L’étudiante au doctorat Christelle Khadra s’enthousiasme lorsqu’elle nous parle de ce garçon de 7 ans, brûlé à la main, qui hurlait tant il ne voulait pas que le médecin examine sa blessure. « Quand il a commencé à jouer, la résidente a commencé à lui bouger la main. Aucune douleur, aucun cri ; il était tout à fait absorbé par le jeu », dit-elle. Au terme de l’expérience, le petit garçon avait déjà hâte à sa prochaine visite à l’hôpital…

Souvent, les enfants qui viennent subir ces interventions anxiogènes en sont à leurs toutes premières visites à l’hôpital. Si la réalité virtuelle peut rendre ces premières expériences moins traumatisantes, voire agréables, ce sera mission accomplie, conclut l’équipe de chercheurs.

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