Chronique

Québec inc. boursier en voie d’extinction

Depuis plus d’une dizaine d’années, le Québec ne dispose plus d’un écosystème financier capable de soutenir l’éclosion de premiers appels publics à l’épargne pour nos PME, ce qui n’est pas étranger au fait que le poids relatif des entreprises québécoises sur le marché des actions canadiennes ne fait que décliner pour ne représenter aujourd’hui que 6 % des sociétés inscrites à la Bourse de Toronto.

Six pour cent, c’est peu quand on sait que le poids économique du Québec dans l’économie canadienne est d’au moins 20 %.

Et avec quelque 190 sociétés québécoises inscrites à la cote de la Bourse de Toronto, le Québec est loin d’assumer son plein potentiel financier, surtout si l’on considère qu’il y a 10 ans seulement, on recensait plus de 300 entreprises québécoises dont les actions se négociaient publiquement.

Il y a deux semaines, je constatais dans une chronique que les titres d’entreprises québécoises inscrits à la Bourse de Toronto souffraient d’une surprenante léthargie depuis le début de l’année.

Traditionnellement, ce qu’on a baptisé « Québec inc. » arrivait à produire de façon constante des rendements nettement supérieurs à ceux générés par l’indice de la Bourse de Toronto, mais en 2018, les titres québécois se sont comportés aussi mollement que la moyenne des entreprises canadiennes.

C’est à la suite de cette chronique que Claude Désy, avocat, comptable et fiscaliste, associé du cabinet d’avocats Dunton Rainville, m’a contacté pour me sensibiliser à l’inquiétant déclin qui frappe depuis plus de 10 ans l’industrie du financement boursier québécois.

Il y a deux ans, Claude Désy a présidé un groupe de travail réunissant une trentaine d’experts du monde financier montréalais pour se pencher sur le déficit d’inscriptions en Bourse des sociétés québécoises.

« Depuis 10 ans, nos PME boudent la Bourse parce qu’il y a beaucoup de capital d’investissement de disponible – fonds de travailleurs, Caisse de dépôt, Investissement Québec… –, mais on a un écosystème financier qui est en train de nous échapper et qui passe maintenant systématiquement par Toronto », constate le spécialiste qui travaille depuis plus de 40 ans dans le monde du financement des entreprises.

Plus de capital, moins de boutiques

Il y a 30 ans, au plus fort du Régime d’épargne-actions, des dizaines de PME québécoises ont réalisé des émissions d’actions publiques pour obtenir une solution de rechange à l’endettement bancaire qui était à l’époque pratiquement l’unique source de financement disponible.

La majorité de ces sociétés ont réalisé des premiers appels publics à l’épargne (PAPE) très modestes de moins de 10 millions et pourtant, plusieurs d’entre elles sont aujourd’hui des entreprises bien implantées dans leur marché et certaines sont devenues les géantes que l’on sait (Couche-Tard, CGI, etc.).

« Aujourd’hui, le capital d’investissement est abondant et réussit à injecter plus de 10 milliards par année dans les entreprises québécoises. Mais on oublie qu’il s’agit de capital temporaire et qu’un jour, lorsque ces investisseurs vont vouloir se retirer, ça va obliger la vente à un acteur stratégique de l’extérieur », appréhende avec raison Claude Désy.

Cette abondance de capitaux disponibles de même que la mauvaise réputation que l’on a associée au processus d’une inscription à la Bourse – réglementation tatillonne, frais excessifs, vision à court terme des investisseurs… – ont poussé les PME à ne plus considérer l’éventualité d’un PAPE.

« On a perdu une expertise. Il n’y a plus de courtiers boutiques qui se spécialisaient dans les PAPE de PME. Les banques ont consolidé le marché du financement public et n’acceptent de réaliser que de grosses émissions d’actions – et, encore là, elles doivent faire appel à de l’expertise de Toronto pour pouvoir y arriver », déplore Claude Désy.

Pour éviter que Québec inc. poursuive son atrophie et sa marginalisation sur le marché financier canadien, il faudrait que les spécialistes en financement des entreprises qui restent s’activent à convaincre les dirigeants de PME qui ont profité de fonds privés pour accélérer leur développement de racheter leurs partenaires en réalisant un premier financement public.

C’est ce que vient de réaliser IPL Plastics, qui est redevenue une société ouverte, alors que le Fonds de solidarité et la Caisse de dépôt ont décidé de monétiser une partie de leur investissement dans cette entreprise dynamique en réalisant un PAPE.

C’est ce qu’a refusé de faire le Groupe Pomerleau, qui vient d’obtenir un financement de 50 millions de la Caisse de dépôt pour l’appuyer dans l’exécution de son plan stratégique de croissance des prochaines années. Pourtant, beaucoup de petits investisseurs et d’institutions auraient souscrit à un premier appel public à l’épargne de ce fleuron québécois et canadien de la construction.

Il faut que les PME québécoises redécouvrent les avantages du financement boursier, notamment celui de créer une monnaie d’échange en vue de réaliser des acquisitions ou de lever du capital pour financer leur croissance.

Ce serait aussi dommage que la Bourse canadienne ne puisse plus compter sur la vitalité des entreprises québécoises pour rehausser sa capacité à générer du rendement.

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