Fantasia

La peur se porte bien

Alors que le 22festival Fantasia, consacré aux cinémas de genre de partout dans le monde, est sur le point de prendre son envol, le cinéma d’horreur en particulier fracasse des records d’assistance, si bien qu’on parle d’une nouvelle ère (encore !). Nous en avons discuté avec deux programmateurs de Fantasia, Mitch Davis et Ariel Esteban Cayer.

L’automne dernier, un article du New York Times a révélé que 2017 avait été l’année la plus rentable au box-office de toute l’histoire du cinéma d’horreur. Plus de 733 millions de dollars sont allés à des productions de ce genre aux guichets. Il faut remonter au début des années 2000 pour constater un tel engouement.

Les fans connaissent bien le phénomène, qui est cyclique, et souvent porté par des locomotives qui dépassent le public habituel, des films comme The Exorcist, que tout le monde a vu dans les années 70, jusqu’au récent It, qui a connu un énorme succès.

Mitch Davis, qui travaille avec un enthousiasme contagieux comme directeur de la programmation à Fantasia depuis des années, rappelle que le cinéma d’horreur a toujours été lié à l’atmosphère politique de son époque. « Chaque fois que le monde semble en enfer, le genre de l’horreur devient plus pertinent et plus engagé, dit-il. Qu’on regarde à l’époque de la dépression, dans les années 30, de la guerre du Viêtnam, dans les années 70, ou de l’ère Reagan, dans les années 80, les films d’horreur deviennent toujours des succès au box-office. J’ai l’impression que ça revient à la mode chaque fois qu’il y a un gouvernement de droite au pouvoir, ou des conflits extrêmes et des guerres. »

Pour Mitch Davis, des films comme Metropolis, Bride of Frankenstein, Invasion of the Body Snatchers ou Night of the Living Dead étaient à forte teneur politique. C’est encore le cas aujourd’hui. 

« Un film comme Get Out frappe directement dans une anxiété sociale, le racisme, et d’une façon brillante. »

— Mitch Davis

Quant aux thèmes qu’il remarque actuellement, il dit qu’on est « certainement en train d’évaluer la façon dont nous voyons les figures d’autorité, la façon dont nous pensons l’identité de genre, et les tensions raciales ».

« Je pense qu’il y a très clairement une sorte de fureur et de terreur qui se vit partout dans le monde, et particulièrement aux États-Unis, dit Ariel Esteban Cayer, directeur de la section Camera Lucida à Fantasia. Une vague de films semble avoir anticipé l’élection de Trump. Par exemple, Green Room, qui se passe dans un bar de néonazis, dans une tension entre deux facettes de l’Amérique mises au profit d’une structure de slasher. Ou un film comme The Invitation, qui se passe lors d’un souper dans une grande maison de L.A., et qui montre une société fracturée. Le cinéma a toujours très bien fait ça, aller chercher des peurs inhérentes du moment et les mettre de l’avant dans des scénarios qui amplifient ces horreurs. »

DÉCLOISONNEMENT

Plus intéressant encore, ajoute Mitch Davis, puisqu’il s’agit d’un genre populaire, et ce, depuis les débuts du cinéma, l’horreur qui s’appuie sur un commentaire social ou politique va bien souvent rejoindre un bassin de spectateurs plus grand qu’un film dit « sérieux » précisément consacré au sujet, ou qui tente de conscientiser son public. « Des films plus austères parlent souvent à des convertis, croit-il. Alors que le cinéma d’horreur a un auditoire plus large. »

Pour Ariel Esteban Cayer, cela tient aussi au fait que le cinéma d’horreur est de moins en moins perçu comme un genre mineur. « C’est un stigma qui appartient au passé, dit-il. Les studios s’intéressent au genre, mais ils le font de belle manière, avec des cinéastes de talent. » Mitch Davis souligne aussi qu’une nouvelle génération de critiques n’aborde plus le cinéma de façon aussi cloisonnée. 

« Une génération qui est beaucoup plus habituée à l’idée que le cinéma d’horreur peut proposer une vision personnelle, sociale ou politique, que ce peut être du cinéma d’auteur. En France, ils ont compris ça dès le début ! »

— Mitch Davis

Des cinéastes de renom aussi s’y frottent, tandis que d’autres font leur nom avec un premier film d’horreur réussi. Même ici, au Québec, avec beaucoup de retard, on commence à s’ouvrir au genre, avec comme preuve Les affamés de Robin Aubert, qui a raflé les prix les plus importants lors du dernier Gala Québec cinéma. « C’est tant mieux pour nous ! lance Ariel Esteban Cayer. Notre mission à Fantasia depuis une vingtaine d’années est non seulement de promouvoir le cinéma de genre, mais aussi de le sortir d’un ghetto. On assiste à un phénomène où les films de genre sont de qualité égale aux drames ou à des films d’auteur. C’est toujours arrivé que des cinéastes se soient penchés sur le cinéma d’horreur, Kubrick en est le grand exemple, mais ce qui a changé est que ces cas ne sont plus perçus comme des exceptions. Le cinéma d’horreur devient un genre comme un autre. »

Le festival Fantasia, du 12 juillet au 2 août.

Fantasia

Tigers Are Not Afraid
d’Issa Lopez

(Mexique)

Lundi 30 juillet, 18 h 45

Pour Mitch Davis, c’est LE film à voir cette année à Fantasia. Ce film, qui porte sur des enfants aux prises avec les cartels de la drogue et des forces surnaturelles, a récolté des prix partout dans les festivals. « C’est beau, rempli de réalisme magique, de surnaturel, d’horreur, ça vous fera peur et ça vous fera pleurer, c’est l’emballage parfait ! Guillermo Del Toro et Stephen King ont encensé ce film, car Issa Lopez est une grande cinéaste. »

Satan's Slaves

de Joko Anwar

(Indonésie)

Mardi 17 juillet, 21 h 45

Ce remake d’un classique indonésien des années 80 a fait un tabac dans son pays d’origine. « C’est inspiré par le cinéma des années 70 et 80, autant occidental qu’indonésien, et ce film a fracassé tous les records au box-office. C’est l’Avatar ou le Titanic indonésien. Vraiment intense, et totalement terrifiant. »

Cam

de Daniel Goldhaber

(États-Unis)

Mercredi 18 juillet, 21 h 45 et vendredi 20 juillet, 15 h

Une camgirl plonge dans l’horreur lorsqu’elle découvre qu’elle a été mystérieusement remplacée par un sosie sur son propre site. Le scénario est signé par une ancienne camgirl. « C’est vraiment l’un des films les plus puissants que j’ai vus sur la réalité des travailleuses du sexe. Et ce sont les producteurs de Get Out qui sont derrière ce projet. »

The Man Who Killed Hitler and Then the Bigfoot

de Robert Krzykowski

(États-Unis)

Vendredi 20 juillet, 21 h 30

« Déjà, ce titre ! Produit par John Sayles ! En première mondiale ! Avec Sam Elliott dans le rôle d’un gars qui a assassiné Hitler, et ne peut le dire à personne, et qui se fait demander par le FBI de tuer le Bigfoot  – parce qu’il existe –, car il a une maladie qui pourrait détruire l’humanité. Les gens pourraient croire que c’est un film un peu plus fou qu’il ne l’est en réalité. C’est surtout très beau et mélancolique. J’ai adoré. »

Mandy

de Panos Cosmatos

(Royaume-Uni)

Mercredi 1er août, 21 h 30

« C’est notre film de clôture, en première canadienne. Une expérience surréaliste de revanche, pour les gens qui n’aiment pas les thrillers de revanche, avec Nicolas Cage qui offre une grande performance. C’est hypnotique, ça se passe dans les années 70, mais ça a une atmosphère futuriste ! Les gens ne s’attendent pas à un film comme ça avec Nicolas Cage. »

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