Le cadeau de Poutine

« Cher petit papa Frimas (le père Noël russe), pour la nouvelle année, j’aimerais recevoir une licorne vivante. »

La journaliste Elena Chernenko, du journal Kommersant de Moscou, n’y est pas allée avec le dos de la cuillère pour décrire la liste de souhaits que le Kremlin a présentée aux États-Unis et à l’OTAN en amont des négociations qui ont débuté lundi à Genève.

Vladimir Poutine semble y avoir versé tous ses espoirs les plus fous : il veut que l’OTAN ferme à jamais ses portes à l’Ukraine, il souhaite le retrait des installations militaires dans l’ancien bloc de l’Est et demande la fin pure et simple de la coopération militaire avec l’Ukraine. En gros, il veut les coudées franches dans l’ancienne sphère d’influence soviétique.

Et si les États-Unis et ses alliés disent non ? Lundi, la Russie laissait toujours planer la possibilité d’une intervention militaire en Ukraine si elle n’obtient pas ce qu’elle demande. Avec 100 000 soldats massés à la frontière russo-ukrainienne comme argument massue.

Au poker, on appelle ça être « all in ». Tout mettre sur le tapis.

Et si Vladimir Poutine, un vieux routier, joue ses cartes de la sorte, c’est qu’il a l’impression qu’il a bien plus à gagner qu’à perdre auprès de la seule opinion publique qui lui importe vraiment, celle des Russes.

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Cette opinion publique, ces jours-ci, ne lui est pas particulièrement favorable. Selon un récent sondage du centre Levada – une boîte de sondages indépendante que le Kremlin ne porte pas dans son cœur –, le président russe ne récolte que 63 % d’approbation parmi ses concitoyens.

En ce moment, le président américain Joe Biden serait probablement content d’un tel score – lui qui ne dépasse pas les 45 % d’opinions favorables depuis des mois – mais dans la Russie de Poutine, où les élections ne veulent pas dire grand-chose, ces sondages sont l’une des rares mesures de la popularité du régime et lui confèrent une apparence de légitimité.

Vladimir Poutine n’aime donc pas quand le baromètre de l’humeur russe à son égard descend sous les 70 %.

Ça lui est arrivé en novembre 2013. Dans les mois qui ont suivi, la Russie a annexé la Crimée. Vladimir Poutine, lui, a été porté par la vague de patriotisme. En mai 2014, il remontait à 83 % d’approbation dans l’opinion russe.

Un an plus tard, alors que le conflit dans le Donbass venait de laisser une grosse cicatrice sur le visage de l’est de l’Ukraine, Poutine flirtait avec 90 % de soutien populaire. Un score presque nord-coréen.

Et ce, même si l’économie russe – celle-là même qui a rendu Vladimir Poutine aussi attrayant aux yeux des Russes dans les années 2000 alors que le pays émergeait de la pauvreté des années Eltsine – périclitait.

Le président avait plutôt joué sur l’autre corde sensible de ses concitoyens : le statut de la Russie dans le monde. Lors du dernier sondage de Levada sur ce sujet, en 2018, 82 % des répondants russes ont estimé que la Russie devait « garder son rôle de superpuissance ».

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Et c’est là que l’OTAN entre en jeu. La Russie demande depuis 30 ans que l’alliance militaire occidentale, héritée de la guerre froide, ne marche pas sur ses platebandes ni sur la pelouse de ses voisins. Mais ça fait aussi 30 ans que l’OTAN s’élargit vers l’est.

Vladimir Poutine affirme à qui mieux mieux que l’Occident a profité de la faiblesse de la Russie dans les années qui ont suivi la fin du régime communiste pour prendre ses aises dans sa cour. Et qu’il est temps de renverser la vapeur.

On peut argumenter que ça ne s’est pas exactement passé comme ça, que la Russie a pris part à plusieurs décisions sur l’élargissement de l’organisation, l’opinion publique russe est assez monolithique sur la question. Et épidermique.

Donc, cette semaine, en négociant d’abord avec les États-Unis à Genève, puis avec l’OTAN à Bruxelles, avant de finir la tournée des grands ducs avec l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe à Vienne, la Russie de Poutine démontre à sa population qu’elle est prise au sérieux quand elle monte le ton et montre ses muscles. Qu’elle a de nouveau ce lustre des puissants.

« Nous avons le sentiment que la contrepartie américaine a pris les propositions russes au sérieux et les a étudiées en profondeur », a dit lundi le sous-ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Riabkov, après huit heures de pourparlers avec sa vis-à-vis américaine, Wendy Sherman. Ça en dit long sur la victoire que représentent déjà ces discussions.

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Si le gouvernement de Vladimir Poutine réussit dans les prochains jours à arracher des concessions aux États-Unis et à l’OTAN, et tout ça, sans tirer un coup de feu, on peut s’attendre à voir la cote du président remonter en flèche en Russie.

Si les Russes repartent de la table de négociations bredouilles, le Kremlin continuera de nourrir son discours, accusant l’Occident de tout faire pour empêcher la Russie de briller de tous ses feux à nouveau. Et en appelant au nationalisme de sa population. Ce qui ne nuira probablement pas à Poutine, et ce, même s’il ne met pas ses menaces guerrières à exécution.

Vladimir Poutine ne recevra certainement pas une licorne du père Noël russe, mais il semble bien qu’il ait déjà réussi à mettre la main sur un cheval ailé.

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