QUARTIER DIX30

SITÔT CONSTRUITS,

SITÔT DÉMOLIS

À peine vient-il d’être achevé que le Quartier DIX30 est sur le point de redevenir un chantier de construction. Ses propriétaires souhaitent démolir certains commerces et réaménager l’espace pour le rendre plus convivial.

UN DOSSIER DE MARIE-EVE FOURNIER

Une quinzaine de commerces rasés

Dix ans après son inauguration, une partie du DIX30 doit être prise d’assaut par des grues avant la fin de l’année. La Presse a appris qu’une quinzaine de commerces pourraient être rasés. Le projet vise à augmenter les parts de marché de l’immense centre commercial en améliorant sa densité et l’expérience de magasinage.

Selon un plan non définitif que La Presse a pu consulter, Carbonleo prévoit démolir un pâté entier de commerces situé au sud de l’avenue des Lumières. Cette allée regroupe Aldo, Browns et Dynamite, ainsi que deux enseignes du groupe Reitmans (RW & CO. et Thyme Maternité) et trois du groupe Marie-Claire (Marie-Claire, San Francisco et Terra Nostra).

Il est aussi question de raser les trois restaurants à l’intersection des boulevards Leduc et du Quartier, soit La Cage – Brasserie Sportive, Casey’s et Les 3 Brasseurs. Le secteur où se trouvent la librairie Indigo et l’ancien restaurant Cumulus (fermé en 2013) serait également réaménagé.

« Ils ne sont pas fous. Ils voient bien que plusieurs détaillants ne sont pas contents [de leur niveau de ventes] au DIX30. Ils vont donc réduire intentionnellement le nombre de magasins. Le but, ce n’est pas de l’augmenter, sinon, il va y avoir des locaux vides », rapporte l’un des 10 locataires contactés pour ce reportage.

Les plans révèlent qu’Aldo et Browns seraient relocalisés à proximité. Mais certains commerces n’ont pas de nouvel emplacement. D’autres ne savent pas encore ce que l’avenir leur réserve et ils n’excluent pas la possibilité de devoir quitter le DIX30, nous ont-ils confié. Quelques-uns sont ravis du plan qui leur a été proposé puisque leur commerce était mûr pour des rénovations ou trop grand. Des rencontres avec les propriétaires du DIX30, Oxford et Carbonleo, sont prévues dans les prochaines semaines.

DAVANTAGE DE SOUTERRAIN

Le moment est idéal pour brasser les cartes. Les baux de 10 ans de nombreux commerces viendront à échéance l’automne prochain, puisque le centre commercial a été inauguré à l’automne 2006.

« On va relocaliser des locataires dans des espaces plus convenables pour eux. Certains veulent plus grand, d’autres, plus petit. Il y en a qui veulent quitter. […] On démolit pour reconstruire », a confirmé André Brouillard, vice-président responsable de la location chez Oxford, un groupe ontarien ayant acheté 50% du DIX30 en 2014.

Les plans définitifs seront prêts dans deux mois. Des locaux ont sciemment été laissés vacants, ces derniers mois, pour y relocaliser temporairement des détaillants pendant les travaux, qui devraient durer un an.

Il est aussi question d’ajouter un stationnement souterrain. Il n’a pas été possible d’obtenir une évaluation des coûts des travaux.

SAKS OFF 5TH AU DIX30 ?

Selon nos informations, le DIX30 souhaite remplacer les commerces démolis et les stationnements adjacents par des espaces conçus pour de grands magasins. Les noms de Saks Off 5th et Simons circuleraient. André Brouillard n’a pas nié être en discussion avec Saks, Nordstrom et La Baie, mais rien n’est signé, jure-t-il.

Quand au secteur où se trouvent la Cage, Casey’s et Les 3 Brasseurs, il serait transformé en stationnement. Les restaurants seraient déplacés de l’autre côté du boulevard Leduc.

Les commerçants à qui nous avons parlé accueillent bien cette volonté de renouveau dans les phases les plus vieillottes du DIX30. Car plusieurs sont frustrés que tous les nouveaux venus se soient installés dans le Square, diminuant du coup l’attrait de l’avenue des Lumières, où ils se trouvent.

« L’achalandage est en baisse de 10 ou 15 % depuis l’ouverture du Square, à cause de l’effet d’attraction de la nouveauté et du stationnement intérieur chauffé. »

— Un commerçant ayant requis l’anonymat

Selon un de ses voisins, qui estime être dans « la rue des loosers », le projet est « une nette amélioration » qui corrigera les erreurs d’aménagement qui nuisent à certains commerces. Mais il s’inquiète de l’impact des travaux sur l’achalandage.

« Ce sera très beau, promet André Brouillard. Grandiose. On veut améliorer l’expérience de magasinage pour que les gens restent plus longtemps, et qu’ils soient heureux le temps qu’ils sont là. […] On veut embellir les lieux, améliorer le paysagement, rendre ça plus convivial pour que les gens aiment y marcher. »

Oxford ne cache pas que son objectif avec ces travaux est d’accroître ses parts de marché. « Le seul moyen [d’y arriver], c’est de rénover », affirme son haut dirigeant, puisqu’il n’y a aucun centre commercial à vendre.

Des locaux moins prisés

De toute évidence, on ne se bouscule plus pour louer des locaux au DIX30 comme c’était le cas il y a quelques années. Sur l’avenue des Lumières, le local du restaurant Cumulus, à deux pas du cinéma, est vide depuis trois ans. Idem pour l’espace jadis occupé par Mexx, qui a déclaré faillite il y a plus d’un an. Les ex-locaux de West Coast, Esprit et Limité sont également vacants. Dans le Square, nous avons répertorié huit locaux vides. Dans le secteur des grandes surfaces, en bordure de l’autoroute 30, les trois locaux entre DeSerres et Déco Découverte sont libres. Celui qu’occupait Bovet également. 

Il ne faut pas conclure pour autant que le DIX30 éprouve un problème d’achalandage, soulignent ceux à qui nous avons parlé. Car la situation est généralisée dans les centres commerciaux. Les ventes au détail sont loin d’être spectaculaires. De plus, les Américains sont moins motivés à ouvrir des magasins au Canada en raison de la reprise dans leur propre pays et de la faiblesse du huard. « Le DIX30, c’est le plus grand succès des 20 dernières années au Québec », lance, un brin jaloux, un haut dirigeant d’un propriétaire immobilier concurrent. Oxford affirme par ailleurs avoir intentionnellement laissé vacants certains locaux pour y loger temporairement des commerces pendant les travaux, qui doivent débuter avant la fin de l’année.

Quartier DIX30

Des changements à venir

Pour découvrir les changements qui s’en viennent au DIX30, lisez notre compte rendu en textes et photos.

DIX30

Le stationnement souterrain montré du doigt

Le détaillant de chaussures Tony Pappas survit sur le Plateau Mont-Royal – un quartier réputé pour son accès difficile – depuis 116 ans. Mais sa boutique du Quartier DIX30, située au-dessus d’un stationnement de 2000 places, a disparu au bout de trois ans. Une situation qui semble pour le moins ironique.

« On ne voulait pas être dans un mail ni sur le boulevard Taschereau. On voulait faire partie d’un ensemble, d’un quartier animé, se rappelle la propriétaire de la boutique, Manon Gauthier. Le Square, sur papier du moins, semblait donc être l’endroit idéal. On était particulièrement attirés par ce secteur, on ne voulait pas aller ailleurs dans le DIX30. » Ses grandes attentes ont vite été remplacées par de grandes frustrations.

DÉBUTS CHAOTIQUES

Au cours des premiers mois, le Square est un chantier de construction qui repousse les clients. Une fois les travaux finis, la situation ne s’améliore guère. De nombreux locaux sont vides des mois durant, ce qui nuit à l’attrait des lieux.

Pour couronner le tout, les clients ont de la difficulté à trouver les boutiques, et même à trouver le Square.

« Ils venaient nous voir une fois, ils trouvaient ça compliqué et ils nous disaient qu’ils allaient retourner sur Mont-Royal ! »

— Manon Gauthier, propriétaire de Tony Pappas

D’autres locataires et ex-locataires nous ont également dit avoir reçu régulièrement des appels de consommateurs qui étaient au DIX30 et qui ne trouvaient pas leur commerce.

UN ATOUT QUI NUIT ?

Manon Gauthier finit aussi par comprendre – non sans scepticisme – que le stationnement souterrain, qui devait être l’un des grands atouts du quartier, nuit à ses affaires. « Les [gens du] 450 n’aiment pas les stationnements souterrains. Ils ne voulaient pas y aller, même si on leur disait qu’il y avait 2000 places. »

Un point de vue partagé par d’autres commerçants. « Il y a beaucoup de monde qui ne comprenait pas le concept du stationnement souterrain, confie l’un d’eux. Je sais que ça a l’air stupide, mais pour beaucoup de monde, le DIX30, c’est un endroit où tu prends ta voiture et tu stationnes devant le magasin, tu rentres, t’achètes, tu ressors. Beaucoup de personnes s’en allaient. Elles ne voulaient pas descendre. »

Chez Oxford, André Brouillard a affirmé en entrevue que c’était la première fois qu’on lui faisait ce genre de commentaire. « Je n’ai jamais eu cette impression [que le stationnement intérieur était problématique] en parlant avec des détaillants d’envergure, avec les grands joueurs qui sont là », a-t-il ajouté.

Chose certaine, il n’y a pas d’unanimité ; certains détaillants adorent le stationnement !

LOCOMOTIVES EN PANNE

Plusieurs locataires et ex-locataires affirment que l’achalandage espéré n’est pas au rendez-vous dans le quartier, malgré la présence de détaillants d’envergure censés attirer les foules : Apple, HR2, Williams-Sonoma, Zara, Sephora et Forever 21.

« Depuis le début, on est déçus par HR2, qui devait être la locomotive, confie un commerçant toujours actif au DIX30. [Avant qu’on signe le bail], ils nous ont vendu Holt Renfrew. Pour nous, c’était magique. Finalement, c’est un concept à rabais et ça ne fonctionne pas. C’est un flop. Je n’ai jamais entendu de positif au sujet de HR2. Je serais vraiment surpris si quelqu’un disait qu’un de ses bons magasins est au Square. Malheureusement, on n’a pas de locomotive, on s’est fait passer un sapin. »

« Certaines journées, il ne venait presque personne, raconte le propriétaire d’une boutique qui a quitté l’endroit. Je servais peut-être 10 clients. J’avais le temps d’écouter des films. On n’avait rien à faire. Mes employés étudiaient... »

MARQUES QUÉBÉCOISES SOUS PRESSION

Selon Oxford, les fermetures n’ont rien à voir avec le concept du Square ou l’aménagement de son stationnement intérieur. Plusieurs détaillants appartenant à des entrepreneurs québécois ont fermé parce que « ce n’est pas le type de commerce recherché » par les clients de l’endroit, analyse André Brouillard.

De plus, le ralentissement économique a provoqué des fermetures parmi les acteurs locaux, car ils sont « moins capitalisés que les gros joueurs américains », ajoute-t-il. « Dès qu’ils subissent un coup dur, ils manquent de capitaux. »

Depuis deux ans, Bella Pella, Téh Bar, Tony Pappas, la boutique de vêtements Obscur, une boutique de vêtements pour enfants, des restaurants et un café, entre autres, ont fermé définitivement leurs portes. Sauf exception, ceux ont quitté l’endroit n’ont que de bons mots pour Carbonleo, qui a accepté de casser les baux sans pénalité après leur avoir octroyé des congés de loyer.

NOMBRE DE MAGASINS FRÉQUENTÉS PAR VISITE

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