ARTISANAT

Retisser sa vie, un fil à la fois

À L’Atelier d’artisanat du centre-ville, des hommes et des femmes de tous les horizons retrouvent un sens à leur vie en créant de beaux objets. 

On remarque à peine cette ancienne école protestante, rue Jeanne-Mance, à Montréal. C’est pourtant un bel immeuble du début du XXe siècle, tout en brique ocre, avec de hautes fenêtres. Il abrite l’organisme Montréal, arts interculturels (MAI), voué à la diffusion des arts sous toutes leurs formes et dans toutes leurs expressions culturelles. C’est déjà une surprise. Mais à l’étage, encore plus discret, se cache un atelier hors normes où des femmes surtout, mais aussi quelques hommes, retrouvent peu à peu un sens à leur vie grâce à l’artisanat.

Ils ont en commun d’avoir été terrassés par la maladie mentale. Dépressions à répétition, psychose, trouble panique, chacun a son histoire, une histoire en forme de séisme ou d’érosion lente qui, dans tous les cas, demande un patient travail de reconstruction.

La métaphore prend tout son sens quand on les observe en train d’assembler des morceaux de verre coloré pour en faire quelque chose de cohérent, de tisser fil à fil une petite armée de napperons ou de linges à vaisselle, d’aligner les motifs au pochoir sur un lé de coton qui deviendra coussin, nappe ou courtepointe par les soins d’une camarade couturière.

Estelle, 61 ans, était artiste peintre quand la psychose s’est ajoutée à la fibromyalgie et à l’alcoolisme pour faire basculer sa vie. Elle a été hospitalisée à Maisonneuve-Rosemont, où une ergothérapeute a remarqué son sens artistique et l’a orientée vers L’Atelier. Elle y vient depuis cinq ans maintenant, à raison de deux jours par semaine. « C’est ma pilule », dit-elle non sans humour. Elle confectionne de ravissants tapis d’éveil pour les tout-petits, des tabliers, des coussins, où elle mélange avec bonheur les textures, les motifs et les couleurs dans ce qui semble la représentation même de la joie de vivre.

Valérie, 27 ans, fréquente L’Atelier depuis le mois de septembre. C’est une crise à la fois existentielle et professionnelle qui l’a amenée ici, où elle a appris à tisser, elle qui n’y connaissait rien de rien. Maintenant, elle fabrique de jolis linges à vaisselle en lin et en coton, une activité qui lui donne le temps de penser et de repenser sa vie. 

« Le fait de me concentrer sur quelque chose de créatif, qui a une valeur et une utilité, m’a redonné confiance en moi et en mes moyens. »

— Valérie

À côté d’elle sont posés deux linges de sa fabrication, soigneusement ourlés, qu’elle a rachetés ici même, à la boutique. « J’en garde un pour moi, et j’offrirai l’autre à ma mère pour la fête des Mères », explique-t-elle avec un doux sourire où perce un rien de fierté.

RECEVOIR UN MÉTIER EN CADEAU

La maladie mentale peut frapper n’importe qui, n’importe quand. La preuve : Elizabeth, âgée de 42 ans, était art-thérapeute avant de sombrer dans la psychose. « Un genre de cordonnier mal chaussé », avoue-t-elle en riant. Elle a appris à tisser ici, une chose qu’elle avait toujours voulu faire. Depuis, elle a reçu un métier en cadeau, et elle peut désormais tisser aussi chez elle. Mais elle continue de venir à L’Atelier pour le partage, l’entraide, et aussi pour apprendre de nouvelles techniques. « Je n’en reviens pas de la chance qu’on a de pouvoir venir ici, échanger avec les autres, apprendre quelque chose d’utile, se sentir utile. Il devrait y avoir des ateliers comme ça partout ! »

C’est aussi l’avis de Lynda, qui vient de Laval, trois jours par semaine, depuis un an, par les transports en commun. Elle aussi tisse, fil à fil, des chemins de table, des linges à vaisselle, des napperons, toujours avec des couleurs vives et des fibres naturelles. Incapable de travailler sous pression, elle trouve ici de quoi nourrir sa fibre créatrice (c’est le cas de le dire !), ainsi qu’une acceptation sans condition de sa condition. 

« On me dit que je ne peux plus travailler parce que je ne suis pas assurable. Comme un vieux char… Ici, personne ne te traite comme un vieux char ! »

— Lynda

Ils sont comme ça environ 150 à fréquenter L’Atelier, à raison d’un à trois jours par semaine, sous la supervision attentive de formateurs dont la plupart ont plus de 10 ans d’ancienneté – c’est dire le climat qui règne ici : harmonie, calme, bien-être… C’est imprégné dans les murs. 

Vitraux, émaux sur cuivre, tabliers, bijoux, tissages, coussins imprimés à la main, courtepointes, tout est vendu à la boutique à prix presque ridicules, dont 50 % sont remis aux artisans. Quant à la qualité de la fabrication, elle est inversement proportionnelle aux prix, ce qui n’est pas peu dire.

À l’occasion de la Semaine nationale de la santé mentale, L’Atelier ouvrira ses portes au public du 2 au 6 mai. On pourra échanger avec les artisans à l’œuvre ainsi qu’avec les formateurs, en plus de profiter d’un rabais de 25 % à la boutique. 

L’Atelier, 3680, rue Jeanne-Mance, 2e étage, Montréal, 514 884-6458

Heures d’ouverture : du lundi au vendredi de 10 h à 16 h (19 h le mercredi) ; fermé de midi à 13 h

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.