PERSONNALITÉ DE LA SEMAINE

Jayne Malenfant

Elle a franchi les barrières de l’itinérance pour retourner sur les bancs d’école. Aujourd’hui doctorante en éducation à l’Université McGill, elle mène des recherches pour permettre aux jeunes de la rue de poursuivre leur scolarité comme elle a pu poursuivre la sienne. Jayne Malenfant est notre personnalité de la semaine.

Dans le monde de Jayne Malenfant, il y a beaucoup de créativité, de générosité, de dynamisme, mais aussi de désespoir, de frustration et d’incompréhension. C’est le monde des jeunes sans domicile fixe, tous ces ados et nouveaux adultes qui ont trop souvent le choix entre le mauvais et le pire, qui se débrouillent comme ils peuvent, qui ont besoin qu’on les aide, et surtout pas qu’on les juge.

Notre personnalité de la semaine connaît cette réalité, car elle y a déjà elle-même goûté durant son adolescence.

Aujourd’hui, à 29 ans, forte de deux bourses prestigieuses comme étudiante de troisième cycle à l’Université McGill, la bourse Vanier et la bourse Trudeau, elle est engagée corps et âme dans un projet de la faculté d’éducation, avec sa mentore la professeure Naomi Nichols, pour aider les jeunes de la rue à poursuivre leur scolarité comme elle a pu poursuivre la sienne. Car après avoir été itinérante, Jayne est maintenant doctorante.

Ses recherches, son projet de thèse font partie d’une initiative très concrète : rédiger un document qui sera remis au gouvernement pour l’aider à mettre en place ce qu’il faut pour aider les jeunes en difficulté à ne pas décrocher, à trouver refuge au sein du système d’éducation pour en sortir solidement, avec les outils nécessaires pour embrasser la vie en société.

Assise dans un café de la Petite-Bourgogne, après une journée de travail à Dans la rue, organisme qui participe au projet, Jayne raconte en français et en anglais son parcours. Elle a habité à peu près partout au Canada, à Kapuskasing en Ontario où elle est née, à Saskatoon où elle est partie avec sa mère quand elle était toute jeune et où celle-ci, obligée de retourner à Kapuskasing s’occuper d’un autre enfant plus jeune dans le besoin, l’a laissée seule, convaincue qu’elle pouvait subvenir à ses besoins, convaincue, tout comme Jayne, que c’était la meilleure solution. La jeune femme avait 15 ans. Elle a aussi habité en banlieue de Vancouver, à Toronto, à Peterborough, et vit maintenant à Montréal.

Des solutions pour les gens à la dérive

Elle a fait une maîtrise en anthropologie à Toronto, sur les punks ruraux. La campagne, la terre, dit-elle, est une belle solution pour tant de gens qui ne peuvent fonctionner en ville, et pas juste à cause du manque de travail, mais aussi, notamment, à cause de questions de bien-être mental. Les solutions pour les gens à la dérive, explique la jeune femme, ne sont pas toutes faites d’avance. Parfois, il ne suffit pas d’un boulot ou d’une maison. Parfois, il faut trouver la bonne aide, le bon adulte qui tend la main, le bon environnement où des gens qui ont des difficultés à gérer leurs émotions, leurs rêves, leur stress s’épanouissent le mieux.

Son père, ancien ouvrier de l’industrie du papier aujourd’hui retraité, d’origine franco-ontarienne, vit à Amos. Elle s’entend bien avec lui comme elle s’entend bien avec sa mère. Son passé difficile à vivre seule, à subvenir à ses propres besoins alors qu’elle était encore ado, elle ne le leur reproche pas. La seule question qu’elle pose en entrevue s’adresse à ses enseignants, quand elle était au secondaire, qu’elle s’automutilait, arrivait à l’école le ventre vide, en retard, épuisée… « Je ne peux pas comprendre que mes profs n’aient rien vu, ne se soient pas demandé ce qui m’arrivait. Ils devaient savoir. » Cette école qui a fini par la mettre à la porte parce qu’elle accumulait les absences, elle lui pose des questions.

Son projet à McGill s’adresse à tous ces éducateurs. 

« Il faut apprendre [aux éducateurs] à reconnaître, à aider ces jeunes qui n’ont pas nécessairement l’air d’être en difficulté, mais qui le sont et qui ne demandent pas non plus nécessairement d’aide même s’ils en ont besoin. Peut-être même qui le cachent. »

— Jayne Malenfant

« Il faut enlever les barrières à l’éducation de ces jeunes. » Quand elle regarde sa propre vie, elle voit tant d’étapes où bien des interventions des gens en autorité, dans les établissements fréquentés, les ressources d’aide, auraient pu être différentes. Et surtout au sein du monde de l’éducation.

Il faut demander : et si ce qu’on reproche aux jeunes en difficulté n’avait rien à voir avec des questions de discipline, de paresse, de volonté, mais touchait plutôt la santé mentale, la précarité, la pauvreté ? Et si derrière les décrocheurs et les enfants de la rue, il y avait des jeunes qui veulent continuer sur un bon chemin, mais qui n’en sont pas capables et ne savent pas comme le dire, comment demander d’être épaulés ?

La solution, dit-elle, n’est pas de les convaincre de travailler plus fort. Ou de rêver pour eux qu’ils retrouvent leur maison, leur famille, des idéaux tout tracés, parce que ce n’est pas toujours la meilleure option.

La solution, c’est que ces jeunes cessent d’être invisibles et qu’on les aide, comme ils ont besoin d’être aidés.

Jayne Malenfant en quelques choix

Un livre : Cœur de chien de Mikhaïl Boulgakov. « Parce que c’est un cadeau d’un ami précieux. »

Un film : Tous les Godzilla. « Parce que c’est un commentaire sur la façon dont les humains sont en train de ruiner la planète. »

Un personnage historique : Emma Goldman, anarchiste d’origine russe née en 1869 qui a vécu aux États-Unis, a fait de la prison, a appuyé la révolution russe avant de s’y opposer à cause du traitement soviétique des anarchistes de l’époque, adepte de l’action directe et rebelle féministe morte à Toronto en 1940, à 70 ans. « Elle a écrit sur l’éducation et critiqué le système scolaire. »

Un personnage contemporain : Leilani Farha, avocate, ancienne étudiante de droit de l’Université de Toronto, rapporteur spécial des Nations unies sur le logement convenable. « Elle est incroyable. »

Une phrase : « Prends garde au présent que tu crées car il doit ressembler au futur dont tu rêves. » — Isabelle Frémeaux dans Les sentiers de l’utopie

Une cause qui vous ferait descendre dans la rue : « La réelle inclusion de tous, surtout dans la recherche de solutions. Et sur ma pancarte, j’écrirais : “Rien sur nous, sans nous.” »

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