Le secret allemand de Baie-D’Urfé

À quelques kilomètres du centre de Montréal, je me retrouve dans une classe du secondaire où je ne comprends rien à ce qu’on enseigne. Mais alors là, strictement rien.

Ce n’est pas que je suis nul en biologie, mais plutôt que le cours s’y déroule exclusivement… en allemand. Eh bien oui, figurez-vous que l’agglomération de Montréal compte une école germanique sur son territoire, à Baie-D’Urfé, dans l’extrême ouest de l’île.

Les matières y sont enseignées en allemand, du primaire à la fin du secondaire, qu’il s’agisse des mathématiques, de la biologie ou de l’histoire.

Baptisée école internationale allemande Alexander von Humboldt (AVH), cette institution n’est pourtant pas nouvelle. Elle a été fondée il y a 37 ans à Notre-Dame-de-Grâce avant de déménager au cœur d’un quartier résidentiel cossu de Baie-D’Urfé, en 1984. À l’origine, l’école AVH comptait 22 élèves ; elle en a aujourd’hui 300, de la prématernelle à la 12e année.

En ce mercredi ensoleillé de la mi-mai, son directeur Thomas Linse nous accueille gentiment. Polyglotte, M. Linse parle un excellent français, mais détrompez-vous, il s’adresse naturellement en allemand à la presque totalité des membres de l’école qu’il croise, professeurs comme élèves.

En visitant l’emplacement, on est frappé par la grande propreté des lieux et le calme ambiant. Rien à voir avec certaines polyvalentes. Les laboratoires de sciences, par exemple, sont équipés d’équipements sophistiqués, venus directement d’Allemagne. Au-dessus des tables du labo se trouve une plate-forme avec différentes valves pour l’utilisation des gaz nécessaires aux expériences, à la sauce allemande.

Il faut dire que l’école est entièrement privée, c’est-à-dire qu’elle ne bénéficie d’aucune aide du gouvernement du Québec, même si le ministère de l’Éducation approuve son programme, calqué sur celui de l’Allemagne. En revanche, le gouvernement allemand finance environ le tiers des frais (5000 $ par élève), tandis que les parents en paient les deux tiers (10 000 $ par élève).

La petitesse des classes – et donc du ratio maître-élèves – oblige néanmoins l’école à tenir des campagnes de financement et notamment un grand bazar annuel, à la fin de l’automne.

L’école compte deux groupes par niveau d’enseignement au primaire, comptant chacun de 10 à 15 élèves, et un seul groupe par niveau au secondaire, d’une vingtaine d’élèves. Le primaire dure quatre ans et le secondaire va de la 5e année à la 12e année (équivalent d’un 6e secondaire), comme en Allemagne.

Au terme du cheminement, l’obtention du baccalauréat international allemand (Abitur) permet aux élèves de fréquenter les universités partout dans le monde.

Le programme de l’école est aussi conçu pour que les élèves obtiennent leur diplôme du secondaire du Québec après la 5e secondaire, dont les examens sont dispensés en anglais.

Qui donc fréquente l’école ? Sur les quelque 300 élèves, 194 sont nés au Canada, 41 en Allemagne et les autres, dans divers pays. « Deux tiers ne parlent pas allemand à la maison. Et il y a de plus en plus d’élèves d’origine asiatique. Ils apprennent l’allemand à l’école », dit M. Linse, qui a recensé 21 langues maternelles dans l’école.

Dans la classe de 10e année qui nous a été présentée, par exemple, 6 élèves sur 20 disaient parler mieux l’allemand que l’anglais ou le français. Le reste parle mieux la langue de Shakespeare que celle de Molière.

Dans cette classe, un élève est fils d’expatrié autrichien et une autre, fille de pilote. Un troisième vient des Pays-Bas et a appris son français à l’école. Une autre élève est issue d’une famille allemande pleinement enracinée au Québec.

« C'est vraiment utile de parler trois langues de nos jours, me dit l’un des élèves de 4e secondaire. Des entreprises allemandes comme Siemens, par exemple, sont présentes ici comme à Paris ou à New York ».

Normalement, les élèves doivent commencer l’allemand au plus tard en 1re année. Toutefois, dès l’an prochain, il sera possible pour des enfants de 8 à 11 ans d’être inscrits dans une classe d’immersion pour éventuellement être intégrés progressivement aux groupes réguliers les années suivantes.

L’école offre aux parents et élèves d’opter pour le cours de français langue maternelle ou langue seconde. Lors de notre visite, nous avons justement croisé l’enseignant de français (et à l’accent français), selon qui les élèves suivent très bien le rythme exigeant de la formation. « Ce sont des enfants doués et très motivés », a-t-il expliqué.

J’ai pu le constater dans le cours d’éthique, où il est notamment question du philosophe Kant, m’a dit Thomas Linse. Les élèves de 15 ans y travaillaient fébrilement en équipe. Notre présence n’a pas semblé déranger leur concentration outre mesure.

L’école AVH de Montréal est membre d’un réseau mondial de 140 écoles allemandes du même genre hors des frontières de l’Allemagne. Deux seulement se trouvent au Canada, et celle de Montréal est de loin la plus grande, puisque l’école de Toronto ne compte qu’une centaine d’élèves.

Pour y travailler, l’essentiel des 35 enseignants doit parler allemand, ce qui pose certains défis de recrutement. Le personnel vient de pays germanophones, y compris le directeur Thomas Linse, établi à Montréal depuis quatre ans.

Qui connaissait cet autre atout caché de Montréal ? Pas moi, en tout cas.

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