5Ws à la Galerie de l’UQAM

Des données existentielles

Les données personnelles, c’est le pain et le beurre de Google, Facebook et bien d’autres géants de l’internet. Ces traces, qu’on laisse un peu partout dans l’univers numérique, c’est aussi la matière première de Nans Bortuzzo, étudiant à la maîtrise en arts médiatiques à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Son art exploite en effet des données récoltées à des fins de profilage commercial auxquelles il redonne une humanité certaine dans son installation 5Ws.

« L’idée est de provoquer une prise de conscience », dit le créateur. La sienne est survenue il y a quelques années, lorsqu’il a demandé à Facebook et à Google de lui transmettre les données amassées à son sujet. Il ne le dit pas exactement ainsi, mais ç’a été un choc de constater la précision avec laquelle ces entreprises pouvaient déduire ses intérêts, ses idées politiques et bien d’autres choses encore, en plus de le suivre à la trace jusque dans son appartement…

Son matériau de base, c’est une énorme banque de données : environ 20 millions de recherches sur Google effectuées en 2006 par 500 000 Américains. Dans un premier temps, il s’est attaché à recréer les séances de navigation – fort révélatrices – de six personnes, dont une jeune femme qui venait d’être contaminée par le VIH et un ado (ou jeune homme) amateur de jeux vidéo violents qui déteste les habitants du Canada. Cette exposition présentée l’an dernier s’intitulait ironiquement Nothing to Hide (Rien à cacher).

L’angoisse des Américains

Pour 5Ws, présentée à la Galerie de l’UQAM, il a utilisé la même matière, mais a fait un pas en arrière. Ne conservant que les requêtes Google qui commençaient par what, where, when, who, why (quoi, où, quand, qui, pourquoi – les cinq questions de base du journalisme), il a cherché à mettre au jour ce qui préoccupait les Américains. En plus de thèmes attendus (famille, santé, éducation), il a relevé beaucoup d’angoisse.

« Ça, c’est un vrai contraste, parce que quand on va sur les réseaux sociaux, tout le monde se met positivement en scène. On a même l’impression que sa propre vie est déprimante », expose-t-il. 

« Par contre, quand on entre dans la base de données, on voit que lorsque les gens ne se croient pas surveillés […], il y a beaucoup d’anxiété et de peurs. C’est sombre. »

— Nans Bortuzzo 

Derrière ces millions de questions posées par l’entremise d’un moteur de recherche, il y a des vies humaines et autant de drames, dit en somme l’œuvre de Nans Bortuzzo.

« Les graphiques, les représentations abstraites de données, ça ne touche pas les gens, juge l’artiste. Je travaille quasi exclusivement avec les données personnelles parce que c’est un bon moyen de toucher les gens. Il y a toute une réflexion sur la représentation artistique, sur la manière de rendre les choses plus sensibles, toujours à partir de données. »

5Ws, jusqu’au 13 avril, à la Galerie de l’UQAM

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