OPINION SONDAGE CROP-LA PRESSE

Du millage sur un sondage

La sociologue que je suis a capoté sur les résultats, la citoyenne a pris acte

Phénoménal.

Samedi dernier, La Presse et CROP publiaient les données d’un sondage dérangeant, à propos du sentiment d’exclusion et d’intolérance au Québec, dans la foulée de l’élection de Donald Trump.

Les statistiques sont stupéfiantes. Elles dépeignent une population qui, à 60 %, ressent un sentiment d’exclusion, avec une énorme propension à ne faire confiance à aucun des partis représentés à l’Assemblée nationale, qui couvrent pourtant un large spectre idéologique. Elles parlent aussi d’intolérance face aux communautés ethniques, à 47 %, dont une bonne partie croit que nos gouvernements sont allés trop loin dans l’accueil des réfugiés. Au total, un sondé sur cinq serait pour l’interdiction de l’immigration musulmane !

En fait, même si dans la foulée de l’élection américaine et du Brexit on a appris à se méfier des sondages, ces questions sont en dehors des traditionnels coups de sonde sur les intentions de vote. Elles auscultent le sociologique. Elles nous disent que le Québec a profondément changé depuis quelques années. Il n’est plus tricoté serré, les différences entre Montréal et les régions se creusent.

La crise économique de 2008 a moins touché notre économie que celle de nos voisins, mais elle est venue jouer dans nos têtes, augmentant notre méfiance envers les élites.

Il y a quelques années, avec la formation de la Coalition avenir Québec, le succès de Radio X, la mise en veilleuse de la question référendaire, la montée du vote conservateur dans la région de Québec, on s’est tous dit que le nouveau clivage politique était maintenant celui entre la gauche et la droite. Il reléguait au passé celui entre souverainistes et fédéralistes. Force est de constater qu’il passe plutôt entre l’establishment et le « peuple ».

Le nouveau mot laid de 2016 :  establishment. La nouvelle insulte : élite.

Certains intuitionnaient ce virage. La tournée « Faut qu’on se parle » de Gabriel Nadeau-Dubois, qui consulte carrément dans les cuisines, Rambo Gauthier et ses velléités populistes, même François Legault « trumpisant » sont des symptômes de cet antiélitisme ambiant. Tous sentent bien qu’une frange importante de l’électorat rejette ce qui vient des partis installés. Mais ce n’est qu’un début. 

La situation mise en évidence par le sondage devrait nous inquiéter. Cette division aura des conséquences politiques, mais aussi sociales, culturelles.

La première retombée politique à prévoir sera certainement l’augmentation du taux d’abstention aux élections. Le cynisme aidant, les électeurs se déplaceront encore moins pour voter, sinon pour des candidats qui se situeront de plus en plus dans les extrêmes du spectre politique. Le surgissement, à gauche comme à droite, de candidats atypiques à la Rambo, est à prévoir. La CAQ et Legault vont être de plus en plus populistes, le Parti libéral verra son électorat francophone s’atomiser et la tentation identitaire va revenir hanter sérieusement le Parti québécois.

Les médias n’échappent pas à ce repositionnement de la société québécoise. Je prédis que les tribunes téléphoniques vont revenir en force. Les réseaux sociaux seront de plus en plus décomplexés. La saison du « gogauche bashing » y est déjà commencée. Dans les émissions d’affaires publiques, les experts seront écoutés avec circonspection, la place de l’info internationale se verra réduite à une portion anecdotique. Les téléséries réconfortantes du bon terroir de chez nous, dans la lignée des Pays d’en haut, vont connaître un essor. Je miserais sur une nouvelle mouture du Temps d’une paix 2.0. On ne verra pas la fin de la téléréalité, tellement près du « vrai monde » !

Ce sera, culturellement, la revanche de groupes à la 2Frères, des covers de La Chicane. Les discours sur l’école et l’importance de l’éducation seront écoutés d’une oreille bien distraite. L’argument du self-made-man reviendra en force…

Yep. La sociologue que je suis a capoté sur les résultats de ce sondage. La citoyenne a pris acte. Il ne faut surtout pas se mettre la tête dans le sable. Dialoguer. Et continuer à se tisser une société décente. Pour tous.

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