Chronique

La favorite

Bien sûr que Julie Snyder existait avant de rencontrer Pierre Karl Péladeau. Bien sûr que ce n’est pas grâce à lui si elle est devenue productrice de télé – une excellente productrice, au demeurant.

Julie Snyder n’est pas née de la cuisse gauche de Pierre Karl Péladeau. Son talent, son audace, sa détermination, elle les doit d’abord à elle-même.

Ces choses étant dites et malgré toute l’affection que je porte à Julie que j’ai connue dans une autre vie (après J.-C., mais avant PKP), elle ne viendra pas me faire pleurer avec son histoire de conjointe sacrifiée sur l’autel du sexisme ou de la vengeance libérale.

Son histoire n’est pas la ballade d’Éric et Lola du monde télévisuel. Elle n’est pas une victime, mais, à mon avis, une habile démone de la manipulation, capable de retourner n’importe quelle situation à son avantage et de nous faire avaler toutes les couleuvres en vente libre sur le marché. 

Elle a aussi un très vilain défaut, elle veut tout : l’argent du beurre, l’argent du diffuseur, le crédit d’impôt, la banque et le banquier. Et elle a tout eu.

Rétablissons d’abord quelques faits. Julie affirme qu’elle est contrainte de fermer le volet télévisuel de son entreprise parce que, privé de crédits d’impôt, celui-ci n’est plus concurrentiel.

À ce que je sache, les Productions J n’ont pas eu droit aux crédits d’impôt avant 2014, y compris en 2003 sous Bernard Landry, qui avait instauré la mesure par souci d’équité à l’égard des producteurs indépendants. Pourtant, Productions J a fonctionné à plein régime et n’a cessé de prospérer pendant toutes ces années de « privation ».

Il y a plusieurs raisons à cela, et les crédits d’impôt n’en font pas partie. Deux raisons ont été plus déterminantes que les autres. D’abord, le lien d’amitié et d’affaires que Julie a noué avec Céline et René, lien qui lui a permis de lancer sa boîte en 1997 avec son premier spécial Céline. Dix autres productions sur Céline (dix !) ont suivi, lui permettant au fil des ans de gagner ses galons chez nous comme à l’étranger. En 2000, trois ans après avoir fondé les Productions J, un autre changement important est survenu dans sa vie : elle est devenue la conjointe de l’actionnaire de contrôle de Québecor, propriétaire de TVA.

Prétendre que ce lien intime n’a eu aucune incidence sur sa vie professionnelle, c’est faire preuve d’une immense mauvaise foi.

Si PKP avait été le PDG d’une télé publique, le cas aurait été réglé assez vite, merci : l’entreprise de Julie aurait été écartée d’emblée pour éviter le népotisme et l’apparence de conflit d’intérêts. Mais le privé n’a pas ces scrupules-là, et comme en plus, Julie était bourrée de talent et d’idées, TVA lui a déroulé le tapis rouge.

Selon diverses sources, ses projets ont toujours eu préséance sur ceux des autres, du moins dans les variétés, la vache à lait de TVA. Julie était la favorite de la maison, celle à qui on ne pouvait pas dire non.

Pendant cinq années non consécutives, la favorite a régné au panthéon des cotes d’écoute avec sa Star Académie.

En passant, les académiciens logeaient dans le vaste domaine familial de son conjoint. Si ce n’est pas une belle preuve des liens étroits et de codépendance entre la productrice et son conjoint, c’est quoi, je vous le demande ?

Et que dire de l’intégration verticale des académiciens (puis des lauréats de La voix) dans les émissions de TVA, dans les magazines de Québecor et dans les magasins du Groupe Archambault, où leurs CD étaient toujours en vedette ? Que Julie l’admette ou non, elle a profité de l’immense machine promotionnelle de l’empire de son conjoint comme aucun autre producteur québécois. Aucun.

Elle pourra toujours plaider que les succès de Star Académie ou de La voix n’ont rien à voir avec sa relation conjugale. C’est vrai que le soin et la qualité qu’elle a apportés à ces émissions ont contribué à leur succès. Reste que les liens étroits de Julie avec l’empire de son conjoint ont été un facilitateur et un accélérateur de ce succès. N’importe quel professionnel du marketing le confirmera.

Mais les temps changent. L’empire Québecor n’est plus ce qu’il était. L’entrée en politique de son actionnaire majoritaire a changé la donne. Le démantèlement de l’empire est déjà entamé avec la vente du Groupe Archambault. Se peut-il que ça soit le changement de cap politique de son conjoint qui force Julie à renoncer à la télé ? Mieux encore : se peut-il que tout cela soit une vaste mise en scène qui met la table pour l’avenir politique du couple ?

Chose certaine, si Pierre Karl Péladeau veut s’élever au-dessus des dérives sexistes des lois de l’impôt, il sait ce qu’il a à faire. La plus belle preuve d’amour non sexiste serait en effet qu’il vende ses actions dans TVA pour que sa bien-aimée retrouve ses crédits d’impôt. Qui dit mieux ? 

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