Science

Cap sur Titan

Le fond de l’air est frais : - 180 degrés Celsius. Mais sur Titan, la plus grosse lune de Saturne, il y a une atmosphère, des océans de carburant et même de l’eau gelée. Il n’en fallait pas plus pour qu’une scientifique et un journaliste lancent une idée folle : oublions Mars et tentons de coloniser Titan. Le projet se bute à des défis pour l’instant insurmontables… mais a l’avantage de faire réfléchir. 

L’idée

Amanda R. Hendrix est planétologue au Planetary Science Institute à Tucson, en Arizona. Charles Wohlforth est auteur et journaliste scientifique. C’est eux qui ont lancé la discussion dans un texte intitulé « Colonisons Titan » publié cette semaine sur le site du magazine Scientific American. Oubliez la Lune et Mars, y plaident-ils en substance : Titan est l’endroit le plus hospitalier du système solaire pour établir une colonie. « Je dois admettre que c’est la première fois que j’entends ça », s’exclame Robert Lamontagne, astrophysicien à l’Université de Montréal, qui juge l’idée « originale », « très intéressante »… mais pour l’instant « hautement irréaliste ». Notons que les auteurs la qualifient eux-mêmes « d’expérience de pensée ».

Le voyage

C’est le principal obstacle au projet, et il est de taille. Avec les moyens actuels, il faudrait sept ans pour gagner Titan. C’est qu’il est impossible de s’y rendre directement, faute de pouvoir embarquer assez de carburant. Il faudrait donc aller tourner autour du Soleil, puis autour de la Terre plusieurs fois, afin de tirer profit de leur gravité pour se catapulter jusque-là. Sept ans de voyage, c’est long… et très dangereux. La dose de radiations cosmiques que recevraient les astronautes serait intolérable. Un voyage vers Mars, en comparaison, durerait de six à neuf mois. Amanda Hendrix et Charles Wohlforth admettent qu’il faudrait de nouveaux moyens de propulsion pour atteindre Titan.

L’atmosphère

Le grand avantage de Titan par rapport à Mars ou à la Lune est qu’une fois le voyage terminé, on y serait protégé des radiations cosmiques (qui causent notamment des cancers et des dommages au cerveau). Comme la Terre, Titan possède une magnétosphère qui forme un bouclier contre les radiations. Elle est aussi dotée d’une atmosphère d’azote 50 % plus épaisse que celle de la Terre, qui assure également une excellente protection.

Le carburant

Titan est aussi le seul corps du système solaire avec la Terre à avoir du liquide à sa surface. Il ne s’agit pas d’eau, mais de lacs de méthane et d’éthane. « Il pleut du méthane sur Titan […]. Les dunes d’hydrocarbures solides ressemblent étonnamment aux dunes de sable de la Terre », décrivent les auteurs. Pour les futurs colonisateurs, cela signifie une source de carburant pratiquement inépuisable. « Et là-bas, le réchauffement de l’atmosphère ne serait pas un problème. À - 180 degrés, on a de la marge pour l’effet de serre ! », commente Robert Lamontagne.

L’oxygène

Rien ne sert d’avoir des hydrocarbures si on n’a pas d’oxygène pour en assurer la combustion. Or, c’est un autre avantage indéniable de Titan : la présence de glace sous la surface. Celle-ci pourrait fournir l’oxygène nécessaire à la fois à la respiration et à la combustion du carburant.

La vie

Les auteurs vont jusqu’à imaginer à quoi pourrait ressembler la vie de ceux qu’ils appellent déjà les « Titaniens ». Sur Mars, disent-ils, les habitants devraient se protéger des radiations dans des bâtiments souterrains, qui seraient difficiles à creuser et donc exigus. Sur Titan, on pourrait construire des dômes de plastique beaucoup plus spacieux, à même les hydrocarbures locaux et soufflés grâce à l’oxygène et à l’azote. L’atmosphère ferait aussi en sorte qu’on pourrait sortir à l’extérieur, et sans combinaison pressurisée – il faudrait cependant se vêtir pour le moins chaudement et traîner sa bonbonne d’oxygène. « La faible gravité – similaire à celle de la Lune – combinée à l’épaisse atmosphère permettrait aux individus de voler avec des ailes sur le dos », écrivent aussi les auteurs.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.