Chronique

Le torontocentrisme fédéral

J’ai été agréablement surpris de lire la réaction du président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM), Michel Leblanc, concernant la décision du gouvernement fédéral d’établir la Banque de l’infrastructure du Canada (BIC) à Toronto plutôt qu’à Montréal. Le ton habituellement poli, à la limite mielleux, qu’utilisent souvent nos organisations d’affaires pour commenter les décisions gouvernementales a fait place à une indignation bien sentie et surtout totalement justifiée.

« On s’aperçoit que les ministres du Québec [à Ottawa] ne livrent pas la marchandise quand vient le temps de défendre les dossiers économiques stratégiques pour Montréal », a déploré le président de la CCMM, lundi, lorsque Ottawa a confirmé que la future Banque de l’infrastructure du Canada allait s’établir à Toronto alors que Montréal la convoitait elle aussi.

Une décision que le gouvernement fédéral a défendue en faisant valoir que la nouvelle agence allait se trouver, à Toronto, à proximité des sièges sociaux des cinq grandes banques canadiennes qui seront appelées à investir dans les projets d’infrastructures que financera en partie la BIC.

Le gouvernement libéral a aussi rappelé que Toronto était le centre financier du Canada et que ce statut plaidait lui aussi en faveur de la Ville Reine comme lieu d’implantation.

Ça va être plus facile d’y embaucher les quelques centaines d’employés qui vont être responsables de la gestion des 35 milliards d’actifs que le fédéral entend injecter dans sa nouvelle institution.

Pour chaque dollar que la BIC investira dans un projet d’infrastructure – route, autoroute, réseau électrique, parc éolien… –, Ottawa espère que l’institution récoltera de trois à quatre dollars de la part d’investisseurs privés.

Le milieu des affaires montréalais et le gouvernement Couillard souhaitaient que la BIC s’établisse à Montréal en raison de l’expertise qu’a notamment développée la Caisse de dépôt et placement du Québec dans le domaine du financement des infrastructures et de la forte présence de firmes spécialisées dans la réalisation de tels projets.

La présence de la BIC à Montréal aurait renforcé l’ensemble du secteur des services financiers, qui emploie pas moins de 100 000 personnes dans la grande région métropolitaine.

Et la pertinence d’accueillir chez nous cette nouvelle institution était d’autant plus grande que l’idée même de la création de la Banque de l’infrastructure du Canada a été mise en branle en bonne partie par le président de la Caisse de dépôt, Michael Sabia.

M. Sabia faisait partie du groupe sélect de 14 experts membres du Conseil consultatif en matière de croissance économique qu’avait créé le ministre des Finances, Bill Morneau. Une des principales recommandations de ce comité d’étude a été la création d’une banque de l’infrastructure.

silence

Or, à l’instar de plusieurs dossiers économiques, comme l’a déploré lundi le président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, on n’a pas beaucoup entendu de voix de la députation ministérielle québécoise pour défendre le choix de Montréal comme futur site de la BIC.

Les ministres fédéraux montréalais donnent la nette impression d’être des acteurs muets quand vient le temps de débattre des grands enjeux stratégiques pour Montréal. Ils attendent docilement les décisions des ministres économiques qui, eux, ne se gênent pas pour favoriser la région qu’ils représentent, c’est-à-dire Toronto.

On se souviendra de la lenteur extrême avec laquelle le gouvernement fédéral a géré le dossier du soutien financier à Bombardier alors qu’aucun ministre montréalais n’a mis publiquement de pression en vue d’accélérer le processus de décision.

Pis encore, l’une des premières mesures qu’a prises le ministre des Transports, Marc Garneau, lorsqu’il est entré en fonction a été de bloquer le prolongement de la piste de l’aéroport Bishop, à Toronto, pour permettre l’atterrissage des avions C Series de Bombardier.

Le ministre des Finances, Bill Morneau, député de Toronto-Centre, et le ministre du Développement économique, Navdeep Bains, de Mississauga, en banlieue ouest de Toronto, sont, eux, capables de prendre des décisions.

Nadveep Bains, qui a été jadis analyste financier pour le constructeur automobile Ford, a annoncé en janvier un programme de subventions de 500 millions entièrement consacré aux grands de l’auto pour les aider à moderniser leurs installations. On parle ici de dons fédéraux à des multinationales étrangères.

Le ministre des Finances, issu du milieu financier de Toronto, n’a pas hésité bien longtemps avant de décider d’implanter la Banque de l’infrastructure du Canada à Toronto. L’argent est à Toronto, et les ministres fédéraux responsables des dossiers économiques sont de Toronto.

Remarquez, l’Alberta souhaitait aussi accueillir la BIC pour remplumer un peu l’activité économique de Calgary, fortement écorchée par la récession.

Le ministre fédéral de l’Infrastructure et des Collectivités, Amarjeet Sohi, pourtant député d’Edmonton, n’a pas été en mesure, lui non plus, de faire entendre sa voix. Il appert qu’Ottawa n’aurait même jamais sondé la communauté financière albertaine pour entendre ses arguments.

L’argent est à Toronto, et les ministres fédéraux responsables des dossiers économiques sont eux aussi à Toronto.

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