Série PME

Réfléchissez pour ne pas vous tromper !

Charles Sirois est fondateur et président du conseil de Telesystem, fondateur et président du conseil d’Enablis.

En quoi le marché international est-il différent du marché régional ?

« Premièrement, l’essai-erreur ne fonctionne pas très fort à l’international. Pourquoi ? Sur le marché local, tu es chez toi, ton action est beaucoup plus directe et beaucoup plus près du marché, tu peux essayer quelque chose et le corriger rapidement. À l’étranger, les actions vont se faire à distance. Elles risquent de se faire par procuration, c’est-à-dire par délégation de pouvoir, soit à travers un partenaire, soit à travers un dirigeant mis en place là-bas. Et la correction de l’erreur amène des délais qui peuvent être beaucoup plus coûteux qu’une correction sur le marché local. »

On n’a donc pas droit à l’erreur ?

« S’il y a moins d’essais et erreurs, ça signifie qu’il faut plus de réflexion. Souvent, un entrepreneur aura tendance à passer plus rapidement à l’action, et la phase de réflexion est un peu plus courte. L’entrepreneur local va tirer d’abord et poser les questions ensuite. Mais tu ne peux pas faire ça à l’international. Il faut garder ton dynamisme, mais tu dois être un peu plus prudent dans ton action et lui accorder un peu plus de réflexion. »

Quel est le principal défi pour un entrepreneur qui vise un marché international ?

« Lorsqu’une entreprise locale passe à l’international, le chef d’entreprise doit se libérer du temps. L’exploration du marché international ne se délègue pas dans une petite entreprise. C’est le travail de l’entrepreneur propriétaire. Mais il ne faut pas mettre en danger les activités locales parce qu’il sera soudainement beaucoup moins présent dans son entreprise. Ça prend du temps pour faire de l’international. C’est très taxant pour le chef d’entreprise. Il faut préparer son entreprise et surtout préparer sa disponibilité temporelle. »

Ses fréquentes absences auront-elles d’autres impacts ?

« L’équilibre famille-entreprise va être bouleversé par un chef d’entreprise qui décide de se tourner vers l’étranger. Sa présence auprès de sa famille va se trouver très diminuée. C’est inévitable. C’est une décision qui doit être discutée et acceptée. »

Comment l’entrepreneur doit-il se préparer ?

« Si vous voulez faire des affaires en Inde, il me semble que la première chose à faire est de lire sur l’Inde. J’avais songé à faire des affaires en Russie et j’avais contacté un professeur spécialisé en histoire russe à l’UQAM. Je lui avais dit que je voulais suivre un cours privé d’histoire politique de la Russie d’une douzaine d’heures et que je le paierais. J’ai eu six séances de deux heures. Il avait structuré un curriculum qu’il m’avait envoyé, et je lui avais dit que je voulais plus de temps sur tels aspects et moins de temps sur tels autres. Après tout ça et quand j’ai tout compris, j’ai décidé que je n’irais pas en Russie. »

Où trouver des appuis ?

« Quand vous êtes dans un nouveau marché, servez-vous des infrastructures que vos taxes ont déjà payées. Les ambassades, Exportation et développement Canada [EDC], par exemple… Mais il faut savoir s’en servir intelligemment, travailler avec eux. Les délégués commerciaux des ambassades canadiennes connaissent très bien les marchés locaux et peuvent vous faire gagner énormément de temps. »

Série PME

Croissance en terre étrangère

« Hortau possède une technologie agricole avancée en matière de gestion de l’eau et elle vend presque l’ensemble de ses produits aux États-Unis, principalement en Californie. »

— Charles Sirois

HORTAU

Fondation : 2002

Fondateurs : Jocelyn Boudreau et Jean Caron

Siège social : Québec

Employés : 50, dont 25 au Québec

Jocelyn Boudreau habite depuis plus d’un an en Californie avec sa conjointe et ses trois enfants. La vie sous le rude climat californien est le prix à payer pour soutenir les activités de son entreprise à l’étranger.

« La majorité de notre croissance se fait du côté américain, principalement en Californie », explique le président-directeur général d’Hortau, un fabricant de systèmes de gestion de l’irrigation agricole. « Être plus proche des clients et de la situation locale est un gros avantage. »

Hortau a été fondée en 2002 par Jocelyn Boudreau, ingénieur agricole titulaire d’une maîtrise en physique du sol, et Jean Caron, agronome et docteur en physique du sol.

L’entreprise a mis au point un système de mesure de la tension dans les sols agricoles, pour ajuster l’irrigation selon les besoins des plantes.

La tension n’indique pas la quantité d’eau dans le sol, mais sa disponibilité.

Pour divers terrains d’une même teneur en eau, différentes conditions, notamment la composition du sol, peuvent faire varier la facilité de la plante à extraire cette eau. En d’autres termes, plus la tension dans le sol est basse, moins la plante doit exercer de pression pour l’extraire, et mieux elle se porte.

En mesurant la tension du sol plutôt que sa teneur en eau, Hortau peut donc ajuster l’irrigation selon les besoins réels de la plante, et prévenir chez elle le phénomène néfaste du stress. Résultat, la plante est d’excellente humeur, croît avec enthousiasme et fait le bonheur de son agriculteur.

Les sondes de tension sont reliées à une station de contrôle autonome, alimentée par énergie solaire. Les stations sont contrôlées à distance par communication sans fil, à l’aide d’une plateforme en infonuagique.

Ce système gère l’eau comme sont gérés les engrais et autres facteurs de productivité de la culture. « L’accent est d’abord mis sur la croissance de la culture, mais le résultat, c’est qu’on finit toujours par économiser une très grande proportion d’eau, en général entre 25 et 35 %, explique Jocelyn Boudreau. Même chose pour l’énergie. »

CROISSANCE, DONC CROISSANCE

Les trois quarts du chiffre d’affaires proviennent de la Californie, où Hortau est installée depuis la fin 2007. « On a de la concurrence, mais nous sommes les leaders en Californie dans notre domaine », soutient son président.

Depuis un an, le chiffre d’affaires d’Hortau en Californie a bondi d’au moins 70 %.

L’entreprise génère ses revenus avec un abonnement mensuel plutôt qu’avec la vente de ses systèmes. À l’heure actuelle, Hortau signe environ 1000 nouveaux abonnements par année.

Avec la croissance de son chiffre d’affaires et le coût de l’équipement qu’elle doit assumer, la pression sur ses finances est toutefois élevée. L’entreprise fait appel au capital de risque à répétition. La dernière en date : un investissement de 3,5 millions par Avrio Capital, un peu plus tôt cette année.

L’industrie agricole, malgré sa taille, demeure très fragmentée.

« Notre domaine fonctionne beaucoup avec le bouche-à-oreille. Ce qui peut le favoriser sont les réseaux sociaux, les journaux locaux. Même si l’agriculture est une grosse industrie, c’est une dynamique locale. »

— Jocelyn Boudreau

Il n’existe pas non plus de canal de distribution approprié à son produit.

C’est pourquoi Hortau a favorisé la vente directe. « On s’implante avec une première personne, puis on ouvre un bureau de vente. »

Cette méthode prudente ne favorise pas une croissance spectaculaire, mais ses racines sont profondément implantées.

Au cours des deux prochaines années, Hortau étendra d’ailleurs ses activités dans le Midwest et au Texas.

Jocelyn Boudreau vise encore plus loin. Il pourrait ensuite tâter les marchés de l’Amérique du Sud – Brésil, Chili, Argentine –, du sud de l’Europe et de l’Afrique du Nord.

Mais il n’a pas parlé d’y déménager sa famille.

— Marc Tison, La Presse

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