Persévérance scolaire

Un diplôme, ça ne change pas le monde, sauf que…

Étudier est généralement payant. Pour un David Karp, fondateur du site de microblogues Tumblr, qui a fait fortune même s’il a quitté l’école à 15 ans, on compte nombre de décrocheurs devant se contenter d’un microjob. Quelle est la valeur d’un diplôme au Québec ? En cette saison des bals de fin d’études, on fait le point en cinq questions. Entrevue avec Pierre Fortin, économiste à l’ESG-UQAM.

Est-ce que le taux de décrochage diminue au Québec ?

Oui. Parmi les jeunes Québécois qui ont commencé le secondaire à l’automne 1998 (ils ont aujourd’hui 31 ans), 56,6 % ont obtenu un diplôme d’études secondaires (DES) après cinq ans d’études, soit le délai normal. Dix ans plus tard, 62,3 % des élèves de la cohorte de 2008 (aujourd’hui âgée de 21 ans) ont obtenu un DES en cinq ans. C’est un bond de 5,7 %, selon des données fournies à La Presse par le ministère de l’Éducation.

En accordant deux ans de plus aux élèves, le taux de diplomation grimpe à 67,9 % pour la cohorte de 1998. Encore mieux, il atteint 72,7 % pour celle de 2008. Quant aux taux d’obtention d’un diplôme d’études professionnelles (DEP), il est d’un maigre 0,1 % après cinq ans d’études pour les deux cohortes. Après sept ans, il monte à 1,3 % (cohorte de 1998) et à 1,8 % (2008). On peut faire mieux.

Les décrocheurs arrivent quand même à trouver du travail, non ?

Pas tous. En 2015, 58 % des Québécois de 25 à 54 ans sans diplôme occupaient un emploi, selon Statistique Canada. Les titulaires d’un DES ou l’équivalent étaient toutefois plus nombreux – 77 % – à travailler, souligne Pierre Fortin, économiste à l’ESG-UQAM, dans une étude parue en 2016. Le taux d’emploi des diplômés du postsecondaire était encore plus élevé, à 86 %.

Dans la construction, ne peut-on pas bien gagner sa vie sans diplôme ? 

C’est rare. « Sans DEP dans la construction, tu ne vas pas loin, répond M. Fortin. Avec un DEP, il y a certainement encore de bonnes perspectives dans les spécialités du secteur. Cependant, les places sont limitées (et rationnées par les règlements de l’industrie). En 2016, au Québec, il y avait 140 000 travailleurs de tous les âges payés à l’heure dans la construction, ce qui ne représentait pas plus que 7 % de tous les salariés payés à l’heure au Québec. »

Quel est l’avantage d’être diplômé comme Marie-Anne, Philippe et Cristian, quand on a de 25 à 54 ans ?

Sans diplôme, le salaire annuel médian s’établissait à 31 600 $ en 2010 pour un travailleur québécois de 25 à 54 ans ayant occupé un emploi toute l’année à temps plein, selon Statistique Canada. Avoir un DES dans son curriculum vitæ procure 20 % plus d’argent, soit 37 800 $. Avec un diplôme universitaire, le salaire annuel médian atteint 60 500 $, précise l’étude de M. Fortin.

« Il faut aussi regarder un peu plus haut, ajoute l’économiste. En Amérique du Nord, le rapport entre le salaire du diplômé collégial ou universitaire et celui du diplômé du secondaire s’est accru très significativement, en moyenne, depuis 35 ans. De 30 % en 1980 à 100 % aujourd’hui aux États-Unis et de 30 % à 45 % (donc moins) au Canada. Les changements technologiques, qui renforcent continuellement l’économie du savoir par rapport à l’économie des tâches routinières et de la force physique, vont pousser dans la même direction au cours des prochaines décennies. »

Avoir un diplôme du secondaire, ça ne change pas le monde, sauf que…

Sauf qu’acquérir un diplôme du secondaire devrait ajouter un demi-million de dollars constants de 2016 au revenu du diplômé sur l’ensemble de sa vie active, selon M. Fortin. Le gain financier individuel est de 519 000 $ à 453 000 $, selon l’âge d’obtention du diplôme (variant de 17 à 29 ans : plus on est diplômé jeune, plus c’est payant), d’après des projections conservatrices. L’État en retire aussi des bénéfices, puisque le diplômé paie plus d’impôts et de taxes, et a moins recours aux programmes sociaux. « L’avantage du diplôme n’est pas seulement économique, mais aussi psychologique et social », souligne le professeur émérite dans l’étude.

« Bref, le message aux jeunes doit être : Finis ton D.E.S., puis va au cégep, man, conseille avec humour M. Fortin. Si tu as décroché, reviens te raccrocher dans la vingtaine. Bien sûr, Céline Dion et Georges St-Pierre ont réussi sans DES, mais c’est à cause de talents exceptionnels, que tu n’as pas.  »

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