Attentat de Québec

« Ses enfants pourront voir un jour ce qu’il rêvait d’accomplir »

Mamadou Tanou Barry, l’une des victimes de l’attentat survenu dans une mosquée de Québec en janvier dernier, rêvait d’alimenter en eau potable sa ville natale de Guinée. Un regroupement citoyen qui a décidé de mener son projet à terme organise une campagne de financement et espère creuser deux puits dès l’automne.

« Une vie de brisée, combien d’autres en sont affectées ! » Cette réflexion de Will Prosper sur Facebook accompagnait un article dans lequel on apprenait, quelques jours après l’attentat de Québec, que l’une des six victimes voulait alimenter sa ville natale en eau potable. Le premier commentaire sous la publication venait de Kim Vincent : « Et si on crowdfund pour achever son travail ? As-tu quelqu’un dans ton réseau qui saura organiser une telle chose ? Je me porte en soutien ! » Quelques jours plus tard, le projet était lancé.

Ni l’un ni l’autre ne connaissait les victimes. Mais l’attentat commis au Centre culturel islamique de Québec a provoqué chez ces deux citoyens une volonté d’agir et d’honorer la mémoire de ceux qui sont partis injustement.

« En voyant que l’une des victimes avait ce projet de construire un puits dans son village natal, en Guinée, je me suis dit que je pourrais peut-être apporter quelque chose de bien. J’ai tout de suite pensé que j’avais un réseau de confiance dans cette branche, et j’ai contacté Alexis », raconte Kim Vincent, coordonnatrice de la campagne de financement.

Alexis, c’est Alexis Roman, directeur de l’ONG Rain Drop, une association française qui construit des puits pour alimenter en eau des villages indiens. La Montréalaise est une amie de longue date du travailleur humanitaire qui a accepté de l’aider. Will Prosper s’est joint à eux, et une certaine Sophia Laababsi – qui avait aussi vu la publication sur Facebook – a pris contact avec eux pour leur dire qu’elle connaissait les veuves des victimes et pourrait les mettre en lien. Ensemble, ils finiraient ce que Mamadou Tanou Barry avait commencé.

« C’est ça qu’on oublie souvent. On oublie que les gens qui meurent avaient des projets. En tuant Mamadou Tanou Barry, ça tue aussi son projet de donner à une communauté l’accès à l’eau, l’accès à la vie », indique Will Prosper, ex-policier de la Gendarmerie royale du Canada, documentariste, militant des droits civiques et de l’homme et cofondateur du mouvement citoyen Montréal-Nord Républik.

volonté commune

Pendant que Will Prosper et Kim Vincent faisaient aller leur réseau de contacts, le président de l’Association des Guinéens du Québec, Souleymane Bah, faisait des démarches similaires de son côté, à Québec. Proche des défunts et des familles éplorées, il s’était assuré auprès de la veuve de M. Barry qu’elle désirait que son projet soit achevé. De fil en aiguille, ces personnes ayant toutes la même volonté sont entrées en contact et ont uni leurs ambitions.

« Les femmes des défunts saluent notre initiative. C’est tout un signe de mémoire pour elles de pouvoir dire un jour à leurs enfants : “Ton père, via des personnes de bonne volonté, a pu réaliser son rêve de donner de l’eau au village d’où il vient.” » 

— Souleymane Bah, président de l’Association des Guinéens du Québec

Une autre victime de l’attentat, Ibrahima Barry, était aussi d’origine guinéenne. Il a été décidé qu’un puits serait construit dans deux villes, Labé et Mamou.

Labé est une ville divisée en 28 quartiers comptant au total 107 000 habitants. Le puits serait construit dans une communauté d’un millier d’âmes. Mamou compte quelque 230 000 habitants. Comme pour Labé, le puits alimentera en eau potable un village d’environ un millier d’habitants.

« Mamadou vient de Labé et Ibrahima vient de Mamou. Ce n’étaient pas des frères même s’ils ont le même nom de famille, mais on vient tous du même pays », explique M. Bah, qui revient tout juste de visiter les deux villages situés à quelques centaines de kilomètres de Conakry, la capitale de la Guinée. Il est allé faire du repérage pour la construction des puits.

Une première étape franchie

« Je suis allé tout récemment faire ce que je pouvais, à mes propres frais, précise-t-il. Je devais voir les lieux où on mettrait les puits, rencontrer les familles impliquées et les compagnies pour arriver à minimiser les coûts et savoir ce qui nous attend. La seule chose qu’on peut faire ici, ce sont les plaques commémoratives. Tout le reste, on le ferait là-bas. »

Il a reçu une soumission d’une entreprise de forage : 8000 euros par puits, soit plus de 23 000 $ pour les deux. Ils ont amassé à ce jour 6800 $, ce qui demeure nettement insuffisant.

« Sur place, je devais trouver une alternative, raconte M. Bah. On pourrait peut-être faire un puits artificiel, plutôt qu’un forage… On s’est donné jusqu’à la fin de septembre. Je dois rappeler mon contact pour lui dire si on a le financement nécessaire d’ici là. »

Mais le groupe de bénévoles ne perd pas espoir. Il attend une autre soumission officielle qui pourrait être significativement inférieure. Aussi compte-t-il encore sur un élan de solidarité de la population.

« On tient à ce que ça vienne des citoyens, on veut poser le geste que le gouvernement n’a pas fait », précise la coordonnatrice de la campagne de financement, un peu découragée que la mobilisation ne lève pas autant qu’elle l’aurait souhaité.

« On a assisté à beaucoup d’opportunités “photo” par le gouvernement, mais concrètement, à part des fonds pour les familles, rien n’a été fait à la mémoire des victimes. »

— Kim Vincent

Ce jour-là, l’homme de 27 ans est entré au Centre culturel islamique de Québec et a ouvert le feu durant la prière du soir. Six personnes sont mortes, faisant six veuves et 17 orphelins de père. 

« Nous, on fait juste contribuer à matérialiser [le] legs [de M. Barry]. Ses enfants pourront un jour aller là et voir ce que leur père voulait accomplir », estime M. Prosper.

« Quand tu regardes d’où provient cet attentat, il provient du puits le plus profond de l’être humain, mais dans les puits les plus profonds de la terre, on peut aussi aller chercher la vie », conclut celui qui a bon espoir qu’à la fin du mois de septembre, il pourra s’envoler vers la Guinée et qu’il sera témoin des premiers jets d’eau potable que les habitants du village d’enfance de Mamadou Tanou Barry pourront recueillir grâce à une source permanente d’approvisionnement.

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