Chronique

Les frontières s’ouvrent, c’est le temps d’attaquer

Saint-Bruno,  — Lac-Saint-Jean — À une semaine de l’entrée en vigueur provisoire de l’accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne, Yves Girard, directeur général de la coopérative Nutrinor – qui appartient à 965 producteurs agricoles du Saguenay–Lac-Saint-Jean –, n’affiche aucun signe d’inquiétude particulier. Son organisation et ses membres sont prêts à faire front.

Depuis quelques années déjà, la coopérative agricole Nutrinor se démarque par l’intense activité entrepreneuriale qu’elle déploie dans ses différents secteurs d’activité.

Un esprit d’entreprise qui l’amène à être en mesure aujourd’hui de distribuer certains de ses produits sur l’ensemble du marché québécois, en Ontario et en Alberta.

Depuis 1980, Nutrinor s’est développée en réalisant la fusion de plusieurs coopératives agricoles du Saguenay et du Lac-Saint-Jean pour ne former qu’une seule entité.

Au cours des cinq dernières années, Nutrinor a réalisé plusieurs acquisitions d’entreprises de transformation, telles que Charcuterie Fortin, Charcuterie Perron, Fromagerie Perron…

La coopérative a investi beaucoup dans la modernisation de ses équipements et a défriché de nouveaux marchés de niche, tels que l’élevage des poulets sans antibiotiques ou la production de lait nordique biologique.

Nutrinor, déjà propriétaire depuis 2015 de la fromagerie Perron de Saint-Prime – qui produit le célèbre fromage en grains, mais aussi des cheddars vieillis un, deux ou quatre ans –, a réalisé en juin dernier l’acquisition de la fromagerie Champêtre de Repentigny.

« Les gros transformateurs laitiers comme Saputo ou Agropur font des acquisitions pour réaliser des économies d’échelle. Nous, on fait des acquisitions pour favoriser le développement régional. »

— Yves Girard, directeur général de la coopérative Nutrinor

Pour le directeur général de Nutrinor, cette acquisition stratégique est aussi une façon de se préparer pour répondre à la menace que représente l’arrivée prochaine de milliers de tonnes de fromages européens qui vont venir concurrencer les produits locaux.

« La meilleure défense, c’est de passer à l’offensive. Nos fromages sont aimés des Québécois et ils sont offerts dans tous les supermarchés. On produit 160 millions de litres de lait dans la région et on en transforme seulement 45 millions de litres. Idéalement, on aimerait tout transformer ici. »

L’entreprise, qui investissait en moyenne 8 millions par année, s’est engagée en 2017 dans la réalisation d’un programme d’investissement triennal totalisant 65 millions pour réaliser des acquisitions et augmenter ses capacités de production.

Troisième employeur en importance dans la région, après Rio Tinto et Résolu, Nutrinor compte plus 600 personnes dans ses différentes divisions – qui incluent trois quincailleries et une vingtaine de stations-service. L’entreprise réalise plus de 340 millions de revenus et prévoit atteindre le plateau des 600 millions d’ici 3 ans.

La menace européenne

Le 21 septembre prochain, avec l’entrée en vigueur provisoire de l’accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne, le Canada autorisera l’importation de quelque 17 700 tonnes additionnelles de fromages européens.

Si la quantité semble énorme, il faut savoir que cette entrée massive de nouveaux fromages sur le marché canadien va être absorbée sur une période de six ans. On parle donc plutôt de l’importation de 2900 tonnes additionnelles par année.

D’ici la fin de 2017, les consommateurs canadiens vont voir apparaître quelque 720 tonnes de nouveaux fromages européens sur les étals de leur épicerie et certains d’entre eux vont être distribués par Nutrinor.

Le gouvernement canadien a offert 50 % des nouveaux quotas d’importation aux détaillants de l’alimentation et les 50 % restants seront partagés par les transformateurs laitiers.

« Nous, les petits transformateurs, on va se partager 30 % du 50 % des quotas obtenus par les transformateurs. On va se séparer les quotas en fonction de nos parts de marché. Ça va nous permettre d’alimenter nos réseaux de distribution », évalue Yves Girard.

Si Nutrinor ne fait pas un plat de l’invasion prochaine des fromages européens, une concession faite par le gouvernement canadien dans ses négociations avec les représentants de l’Union européenne, il en va tout autrement de la ronde actuelle de pourparlers que le Canada mène avec les États-Unis.

« Il est impensable que l’on modifie notre système de gestion de l’offre. Je viens de réaliser une visite de la plus grosse laiterie de Bretagne. Le prix du kilo de lait qu’ils obtenaient était inférieur à son coût de production. Ça n’a pas de bon sens.

« Avec la fin de la gestion de l’offre, plusieurs producteurs laitiers français sont maintenant au bord de la faillite. C’est ce qui se produira ici si le Canada cède et accepte de revoir notre système », prévient Yves Girard.

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