Chronique

Intelligence artificielle, pertes d’emplois réelles

Il y a un an, le chiffre me paraissait énorme. D’ici 2021, la robotisation croissante ainsi que l’utilisation accrue de l’intelligence artificielle et de l’automatisation devaient faire disparaître pas moins de 5 millions d’emplois dans les 15 premières économies mondiales, dont celle du Canada. On ne fait pas de révolution sans casser des œufs et la quatrième révolution industrielle ne devrait pas faire exception.

Cette prévision de perte massive d’emplois a été formulée en janvier 2016 par le Centre de recherche du Forum économique mondial à la suite d’une enquête menée auprès des 15 plus importantes économies du monde, qui représentent 65 % de la main-d’œuvre mondiale.

L’étude prédisait que l’automatisation grandissante de l’activité économique allait se traduire par la perte de 7,1 millions d’emplois, principalement chez les cols blancs, alors qu’un nombre important de tâches administratives seraient dorénavant accomplies par des machines intelligentes.

En contrepartie, ces pertes d’emplois devraient être partiellement compensées par la création de 2,1 millions de nouveaux postes liés à l’utilisation accrue de l’intelligence artificielle (IA) dans les domaines de l’informatique, des mathématiques, de l’ingénierie… On parle donc d’une perte nette de 5 millions d’emplois.

Sauf que l’histoire nous enseigne que la main-d’œuvre a toujours su faire preuve d’une certaine adaptabilité lors des grandes périodes transitoires, et c’est ce que l’avènement de la quatrième révolution industrielle pourrait encore nous démontrer.

Parce qu’il faut bien l’admettre, un an et demi après la publication de cette étude du Forum économique mondial, les statistiques sur l’emploi des principales puissances économiques ne démontrent toujours pas le début d’un mouvement à la hausse du nombre de chômeurs.

C’est plutôt l’inverse que l’on observe, notamment au Canada et aux États-Unis, où le marché du travail ne cesse d’enregistrer une croissance soutenue. Encore hier, on a annoncé aux États-Unis que le secteur privé avait créé 237 000 nouveaux emplois en août, et ce, dans tous les secteurs d’activité.

Les services vulnérables

Une étude de la firme indépendante montréalaise BCA Research, publiée au début du mois d’août, tempère aussi l’impact négatif sur l’emploi que l’utilisation accrue de l’intelligence artificielle générera.

Les chercheurs de BCA rappellent que jusqu’à la fin du XIXe siècle, plus de 50 % des emplois aux États-Unis étaient liés à l’agriculture jusqu’à ce que l’automatisation de certains moyens de production s’implante et entraîne le déplacement de la main-d’œuvre vers le secteur manufacturier.

Ce même secteur manufacturier a été lui aussi frappé par l’automatisation durant la dernière décennie, alors qu’on estime qu’elle a été responsable de 85 % des 5,6 millions de pertes d’emplois subies entre 2000 et 2010 par les entreprises de ce secteur.

Ce sont maintenant les cols blancs du secteur des services qui font les frais des avancées de l’intelligence artificielle, notamment dans les domaines de l’évaluation du crédit, des primes d’assurances ou de la gestion de portefeuille, opérations que des machines intelligentes sont maintenant capables de réaliser.

Même chose avec la comptabilité, où les services de paye, de vérification ou de tenue de livres peuvent être assurés par des logiciels.

Les 20 prochaines années vont cependant voir apparaître de nouvelles formes de robots qui vont provoquer des bouleversements équivalents à ceux que l’internet a générés au cours des 20 dernières années, anticipe la firme de recherche.

Le développement sans cesse en progression de la voiture autonome va s’étendre à l’industrie du camionnage, reconfigurer totalement le secteur et entraîner des pertes d’emplois importantes.

Dans une étude récente, la firme de recherche IBISWorld souligne pour sa part que même le secteur de la construction, le moins numérisé de toute l’économie, observera une hausse notable de productivité avec l’entrée en service de robots qui sont capables de monter trois fois plus de briques qu’un ouvrier spécialisé.

La prévision d’une perte de 5 millions d’emplois d’ici 2021 en raison de l’incorporation toujours grandissante de l’intelligence artificielle m’apparaît encore énorme puisqu’il faudrait qu’elle se réalise d’ici trois ans.

Les tendances statistiques ne démontrent pas encore l’apparition d’un tel phénomène, mais il est assuré que d’ici 20 ans, beaucoup de métiers et de professions auront été transfigurés par l’IA.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.