Pollution sonore

Alice à tue-tête au cinéma

Au cinéma Guzzo du Marché Central, à Montréal, La Presse a acheté une place pour Alice de l’autre côté du miroir, le jeudi 26 mai à 19 h. Dans la salle peu fréquentée se trouvaient des enfants, certains d’âge préscolaire. Trois sonomètres* employant les microphones d’un iPhone et d’un iPad ont été utilisés pour évaluer le niveau de bruit de ce film en IMAX 3D, à partir du milieu des gradins.

Dès 19 h 04, pendant les publicités et bandes-annonces, un pic sonore de 97,2 décibels a été relevé. Le maximum – 99,4 décibels – a été enregistré à 19 h 09, au début de cette production de Disney. D’autres pointes ont été notées à 19 h 47 (97,6 décibels), 20 h 19 (98,7 décibels) et 20 h 49 (97,8 décibels), peu avant la fin.

Les résultats ont été soumis à Alexis Pinsonnault-Skvarenina, président et fondateur d’Acousma.

« Les niveaux de bruit relevés au cinéma indiquent une valeur moyenne de 90 décibels, résume M. Pinsonnault-Skvarenina. L’Organisation mondiale de la santé [OMS] précise qu’un niveau de bruit sécuritaire se situe à 75 décibels. Les niveaux de bruit sont donc trop élevés. »

La projection a duré près de deux heures – c’est trop long à ce fort niveau sonore. 

« Il suffit de 15 minutes à un bruit ambiant de 90 décibels pour qu’il y ait un risque de dommage auditif. »

— Alexis Pinsonnault-Skvarenina, président d’Acousma

« Bien que nous ne passions pas beaucoup de temps au cinéma, les niveaux de bruit sont assez forts pour être potentiellement dangereux », ajoute le spécialiste.

RÉACTION DE VINCENZO GUZZO

Joint à Los Angeles, Vincenzo Guzzo, chef des opérations et vice-président exécutif des Cinémas Guzzo, a fait valoir que les tests faits par La Presse ne constituaient pas une analyse de bruit professionnelle. C’est vrai. Il reste que le son au cinéma est indéniablement fort, peu importe le sonomètre utilisé.

« Supposément qu’à plus de 75 décibels, il y a un potentiel de risque, a commenté M. Guzzo. Si vous commencez à parler comme des avocats, de potentiel risque… Si je sors demain, j’ai un potentiel risque que quelque chose m’arrive. Je suis mieux de rester à la maison, non ? »

« Pour moi, c’est un faux débat, a tranché M. Guzzo. C’est typique : une personne se plaint, et on veut en faire une montagne. C’est beau, vous en ferez une montagne. Moi, quand j’ai une plainte d’un parent, c’est comique, parce que la plainte n’est jamais au nom de l’enfant. Le parent dit : “J’ai vu un film avec mes enfants, j’ai trouvé le son trop élevé au point que ça m’a dérangé.” Mais l’enfant, on n’en parle pas. »

BIENTÔT DES HAUT-PARLEURS AU PLAFOND

On va au cinéma pour ressentir des sensations, notamment par l’entremise du son, fait valoir M. Guzzo. « Pour créer un effet, il faut une stimulation visuelle ou auditive, explique-t-il. Maintenant que l’image est stable grâce au numérique, le nouveau champ de bataille des créateurs, c’est le son. On parle de mettre des speakers au plafond des salles pour recréer l’effet de la pluie quand il pleut dans un film. On ne veut pas que le niveau de bruit descende, au contraire. »

Ceux qui vont au cinéma savent à quoi s’attendre. « Quand un mineur va travailler dans une mine, il sait qu’il y va, illustre M. Guzzo. Il connaît les risques. C’est un peu la même chose. »

« Je pense que c’est beaucoup plus nocif de donner des écouteurs aux enfants quand ils écoutent leurs films dans l’auto que de les emmener au cinéma. Au moins, au cinéma, vous pouvez boucher vos oreilles, si vous voulez. Si vous voulez. »

— Vincenzo Guzzo, vice-président exécutif des cinéma Guzzo

Il est moins simple qu’il n’y paraît de baisser le volume, selon le fils du fondateur des cinémas Guzzo. « Dans un film, la voix peut être établie à 75 décibels et la bombe, à 90 décibels, indique-t-il. Si on met la bombe à 75 décibels, on n’entendra pas la voix, le son sera trop faible. »

Film fantastique, Alice de l’autre côté du miroir ne vise pas un public en bas âge, souligne M. Guzzo. De toute façon, les enfants sont habitués au bruit. « Quand j’allais à l’école et que la cloche sonnait, elle était pas mal forte, se souvient-il. Au point où je me bouchais les oreilles… »

* Applications utilisées pour enregistrer le niveau de bruit : NoiSee, d’EA Lab, recommandée par un article publié dans le Journal of the Acoustical Society of America, Sound Meter, de LQH Apps, et Decibel 10th/Insta Decibel, de Professional Noise Meter.

RECOMMANDATION DE L’OMS

Limite sonore Durée maximale

75 décibels 8 heures

78 décibels 4 heures

81 décibels 2 heures

84 décibels 1 heure

87 décibels 30 minutes

90 décibels 15 minutes

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