ENQUÊTE

Des Autochtones autoproclamés plein les prisons

Des criminels québécois n’ont qu’à se déclarer métis dans des pénitenciers fédéraux pour bénéficier de privilèges réservés aux détenus autochtones. Parmi eux, Normand Marvin Casper Ouimet, Hells Angel notoire et… gardien du « terrain sacré » autochtone de l’établissement Archambault, à Sainte-Anne-des-Plaines. Une enquête d’Isabelle Hachey

Enquête

« Tu dis que ta grand-mère était autochtone et ils t’acceptent »

Des centaines de criminels québécois se déclarent autochtones dès leur admission au pénitencier, ce qui leur permet de bénéficier de certains avantages, comme des visites contacts plus fréquentes avec leur conjointe et une réévaluation plus rapide de leur cote de sécurité.

C’est ce que révèle notre enquête, menée au cours des dernières semaines auprès d’employés du Service correctionnel du Canada (SCC), d’ex-détenus et d’aînés autochtones.

Des Hells Angels québécois n’appartenant à aucune communauté reconnue sont considérés comme des autochtones par les autorités carcérales. Parmi eux, le puissant chef de la section de Trois-Rivières, Normand Marvin Casper Ouimet, qui a établi ses quartiers au local autochtone de l’établissement Archambault de Sainte-Anne-des-Plaines (voir texte suivant).

Ces motards criminels sont loin d’être les seuls à se découvrir des racines amérindiennes entre quatre murs.

« LE MOT SE PASSE »

En 2005, Éric Vollant s’est disputé avec un ami dans leur communauté d’Uashat, à Sept-Îles. Les choses se sont envenimées. Éric Vollant a tué son ami à coups de bâton de baseball. Il a plaidé coupable et purgeait sa peine pour homicide depuis quatre ans lorsqu’il a décidé de reprendre sa vie en main.

Incarcéré au pénitencier de Cowansville, cet Innu s’est alors inscrit à un « Sentier autochtone », programme conçu par le SCC pour permettre aux détenus autochtones de renouer avec leur culture et leurs croyances traditionnelles.

Éric Vollant s’est tout de suite senti en minorité. « C’est lourd de t’ouvrir devant le groupe dans le cercle de guérison. On est 18, mais tu sais qu’il y en a 15 qui ne sont pas autochtones. Tu sais qu’ils s’en câlissent de ce que tu vas dire. Ils sont là pour profiter de la viande de bison servie dans les cérémonies et pour doubler le nombre de leurs visites contacts avec leur conjointe. »

Désormais en libération conditionnelle, Éric Vollant dit avoir côtoyé un détenu latino-américain dans l’aile réservée aux autochtones du pénitencier de Cowansville. « Astheure, le mot se passe. Quand tu dis que tu es autochtone à la réception […], ils ne te demandent pas ta carte d’Indien, ils te demandent – excusez l’expression – fuck all. »

« Tu dis que ta grand-mère était autochtone et ils t’acceptent. Tout ce qu’ils veulent, c’est avoir du monde dans leurs programmes. »

— Éric Vollant, ex-détenu

Autodéclaration

« La façon dont on détermine si un délinquant est autochtone se fonde sur le principe de l’autodéclaration. C’est-à-dire que si un délinquant se dit autochtone, nous devons le considérer comme tel », a expliqué par courriel Kathleen Angus, administratrice régionale des Initiatives autochtones pour la région du Québec au SCC, dans le cadre d’un précédent reportage.

Mme Angus a cette fois décliné notre demande d’entrevue.

Des détenus autochtones autodéclarés, « il y en a beaucoup, beaucoup, beaucoup », dénonce Dominique Rankin, un aîné algonquin autrefois embauché par le SCC pour guider les détenus autochtones dans leur cheminement spirituel au pénitencier de La Macaza, dans les Laurentides.

« Ils disent qu’ils sont métis juste pour profiter du système et pour avoir de bonnes notes [à leur dossier]. Ça, il y en a beaucoup. »

« Effectivement, des autodéclarations, il y en a en masse parmi les détenus, parmi les employés », dit Gilles Kovacs. Lui-même Montagnais autoproclamé, il est employé par le SCC à titre d’aîné au pénitencier de Donnacona, près de Québec.

« Oui, il y en a [parmi les détenus] », confirme Frédérick Lebeau, président du Syndicat des agents correctionnels du Canada pour la région du Québec. « On peut voir une recrudescence dans ces dossiers parce que généralement, il y a des avantages qui sont octroyés. […] Les conditions sont meilleures. »

UNE MAJORITÉ D’AUTODÉCLARÉS

Bien que le SCC affirme ne pas compiler ces statistiques, une source interne a évalué que la majorité des 469 autochtones incarcérés en date du 31 mars 2019 dans les pénitenciers du Québec ne sont pas des Inuits ou des membres des Premières Nations. Ils étaient considérés comme tels sur la foi d’une simple autodéclaration.

La plupart d’entre eux se disent « métis ». Or, aucune communauté métisse n’a été légalement reconnue à ce jour sur le territoire du Québec – ni par les gouvernements provincial et fédéral ni par l’Assemblée des Premières Nations.

Le SCC ne fait pas la distinction entre les « statuts autochtones », écrit-il dans un courriel. « Il se peut que certains délinquants puissent être incités à tirer profit de services qu’ils perçoivent comme un avantage. Néanmoins, très rapidement ils se rendront compte qu’il ne s’agit pas d’un privilège, mais plutôt d’un chemin de guérison qui exige une implication entière. »

LES AVANTAGES

Le Mohawk Frank Diabo a été incarcéré à l’établissement Archambault de Sainte-Anne-des-Plaines pour délit de fuite. Aujourd’hui libéré, il estime que la moitié des détenus n’auraient pas dû se retrouver dans l’aile réservée aux autochtones. « Il y en a deux qui m’ont dit qu’ils venaient de ma réserve. C’était faux. Je le sais, j’ai vécu ici toute ma vie. À Kahnawake, on se connaît tous. »

Robert Haché, de Chibougamau, a raconté à La Presse en février comment il s’était déclaré métis après sa condamnation pour trafic de drogue, en 2011. Dès son arrivée au centre de réception de Sainte-Anne-des-Plaines, on lui avait demandé s’il était autochtone – une question de routine pour les nouveaux détenus.

Robert Haché s’était alors souvenu des discussions de ses oncles à propos du « sang indien » qui circulait dans la famille et avait répondu par l’affirmative. « Je suis tombé dans l’aile des Amérindiens. On avait pas mal plus d’avantages », nous a-t-il confié.

Robert Haché avait alors eu droit à de la viande d’original, servie à l’occasion par un aîné. Mais il avait surtout eu droit à une cellule individuelle. « C’est long, quatre ans », quand on est forcé d’en partager chaque minute avec un codétenu, a-t-il dit.

L’ESPOIR DE LIBÉRATION

Pour des hommes privés de liberté, chaque privilège compte. Mais ce qui pousse surtout des détenus à s’inscrire aux programmes destinés aux autochtones, c’est la perspective d’obtenir plus rapidement une réévaluation de leur cote de sécurité – pour, éventuellement, se voir accorder une libération conditionnelle anticipée.

« Depuis le 1er avril 2017, le SCC revoit systématiquement la cote de sécurité des délinquants autochtones qui ont suivi un programme avec succès », lit-on dans un rapport du Comité permanent de la sécurité publique et nationale, publié en juin 2018.

Dans son dernier rapport annuel, l’enquêteur correctionnel du Canada, Ivan Zinger, souligne par ailleurs que la participation à un Sentier « est devenue la voie la plus probable pour une personne autochtone d’obtenir une mise en liberté anticipée d’un établissement fédéral ».

Le gouvernement de Justin Trudeau a décidé de s’attaquer de front à la surreprésentation des autochtones dans les pénitenciers fédéraux. Dans la seule région du Québec, les dépenses annuelles de la Direction des initiatives pour les autochtones du SCC se sont élevées à 3,7 millions pour l’exercice 2018-2019.

Le problème est non seulement bien réel, mais il a tendance à s’aggraver, souligne M. Zinger en entrevue. Ainsi, les autochtones représentent 4,3 % de la population canadienne, mais 28 % de la population carcérale du pays. La situation est critique dans les Prairies, où pas moins de la moitié des détenus sont autochtones, souvent membres de gangs de rue.

Pour corriger ce déséquilibre, le SCC est tenu d’offrir des programmes aux autochtones. Or, ces derniers étant relativement peu nombreux au Québec (13 %), des autochtones autodéclarés seraient admis dans les Sentiers pour justifier l’existence de ces programmes, dénoncent plusieurs critiques interrogés par La Presse.

De son côté, l’enquêteur correctionnel ne croit pas que le phénomène de l’autodéclaration au Québec fausse les statistiques de façon significative à l’échelle du pays.

DES PRESSIONS D’OTTAWA

La pression exercée par Ottawa pour réduire le taux de détenus autochtones se fait néanmoins ressentir au sein des services correctionnels. « C’est sûr qu’avec l’investissement qui vient d’un gouvernement, ils ont besoin de résultats. Le côté mécanique de tout ça, c’est qu’ils ont besoin de statistiques. Ça veut dire qu’ils nous poussent un peu », a témoigné Robert Bourdon devant la Commission d’enquête sur les relations entre les autochtones et certains services publics, le 7 juin 2018.

M. Bourdon, qui se dit métis, agit en tant qu’aîné auprès des détenus autochtones de La Macaza, dans les Laurentides.

Les pressions d’Ottawa n’incitent pas le SCC à vérifier les origines des détenus, croit une employée qui a requis l’anonymat de crainte de perdre son emploi :

« Ce qui compte, c’est que ça roule. Même si ce sont des Blancs qui profitent des programmes, le SCC peut dire : on a servi tant de détenus. On a fait notre devoir, on a rempli notre obligation. »

Ces programmes sont pourtant spécialement destinés aux autochtones ayant subi le déracinement, les pensionnats et les autres drames qui affligent toujours les premiers peuples, souligne une autre employée. « Mais ce sont des Blancs qui s’approprient ces souffrances-là pour obtenir des privilèges. Encore une fois, les autochtones doivent s’écraser et se taire. »

« C’est comme un viol, dans un sens », dit Marc, un Innu incarcéré à l’établissement Archambault qui préfère ne pas diffuser son nom de famille par crainte de représailles. « Mes parents ont été au pensionnat et ils ont subi toutes sortes de sévices. J’ai grandi dans une famille dysfonctionnelle et je suis devenu un criminel. […] Il y a beaucoup de gens comme moi qui ont besoin de ces programmes pour réintégrer la communauté. »

« UNE GIFLE AU VISAGE »

À l’établissement Archambault, Frank Diabo n’a pu s’inscrire au Sentier, faute de places. Le programme, dit-il, était rempli d’autochtones autodéclarés.

« C’est très frustrant de voir ces gens placés devant nous. C’est comme une gifle au visage », dénonce l’ex-détenu mohawk, qui y voit un pur gaspillage d’argent public. Il a bien tenté de porter plainte auprès de la direction du pénitencier. « Quand on essaie de soulever le problème, on se fait dire que ce n’est pas de nos affaires. On n’a pas le droit de poser de questions. »

« Le mot d’ordre dans le pénitencier, c’est que tout le monde est égal, qu’il n’y a pas de vrais ou de faux Indiens, dit une employée. Je m’excuse, mais ça existe, de faux Indiens. On nous dit que ces gars-là ont perdu leur culture, mais il faut remonter à Jacques Cartier [pour leur trouver un ancêtre autochtone]. C’est absurde ! »

« J’ai enduré parce que je voulais avoir ma libération conditionnelle, comme tout le monde. En dedans, on marche sur des œufs. On ne peut pas contredire les aînés ou la direction du pénitencier. »

— Éric Vollant

À Cowansville, Éric Vollant était si exaspéré par le grand nombre d’autochtones autoproclamés qu’il a demandé à sa conjointe de lui photocopier sa carte attestant son statut d’Indien. « Je me promenais avec ma carte d’Indien autour du cou. »

Le SCC éviterait d’encourager la fraude, croit-il, s’il exigeait que les détenus soient titulaires de cette carte, délivrée par le gouvernement fédéral, pour être considérés comme autochtones.

Une employée estime que le SCC aurait également avantage à exiger cette carte plutôt que de se contenter de demander à ceux qui soumettent leur candidature à des postes réservés aux autochtones de remplir un simple « formulaire d’affirmation d’affiliation autochtone ».

« Tu fais le plein sur une réserve, on te demande ta carte de bande, dit-elle. Tu achètes des cigarettes, on te demande ta carte de bande. Mais si tu postules pour un job dans la fonction publique fédérale, là, on ne te demande plus rien… C’est absurde ! »

Enquête

Casper Ouimet, le métis

Il participe aux rites spirituels sous la tente de sudation et célèbre chaque changement de saison. Il cuisine la bannique, un pain plat traditionnel amérindien. Ces jours-ci, il prépare des ateliers d’art pour les enfants en prévision de la Journée nationale des peuples autochtones, le 21 juin.

De son propre aveu, Normand Marvin Casper Ouimet est « très impliqué » dans les activités autochtones offertes à l’établissement Archambault de Sainte-Anne-des-Plaines. Le chef des Hells Angels de Trois-Rivières n’avait pourtant jamais revendiqué son identité métisse avant d’échouer au pénitencier.

Le puissant motard de 49 ans, originaire de Repentigny, a écopé d’une peine de 27 ans de prison en 2014 après avoir plaidé coupable à une accusation réduite de complot pour meurtre.

Aujourd’hui, non seulement Marvin Ouimet est considéré comme un autochtone par les autorités carcérales, mais il a été nommé gardien d’un « terrain sacré » réservé aux détenus autochtones.

« C’est moi qui m’occupe de ça, j’en prends soin. C’est un honneur d’avoir été nommé [gardien] », confie-t-il, joint au téléphone par La Presse à l’établissement Archambault.

Marvin Ouimet n’est pas le seul Hells Angel qui s’est déclaré métis en prison. C’est aussi ce qu’ont clamé Ghislain Vallerand et Gaétan David, deux membres en règle du club, libérés sous conditions en février. Tout au long de leur détention, les deux hommes ont été considérés comme autochtones, bien qu’ils aient admis ne pas connaître leur communauté d’origine.

Selon le Service correctionnel du Canada (SCC), 35 délinquants autochtones affiliés aux Hells Angels sont actuellement incarcérés dans des pénitenciers du pays. Marvin Ouimet assure toutefois qu’il ne faut pas y voir le résultat d’une vague d’autodéclarations parmi les motards criminels québécois. « Il y en avait deux ou trois autres, that’s it. […] Des membres des Hells Angels qui sont autochtones en prison, il reste juste moi. »

UN LOINTAIN ANCÊTRE

Marvin Ouimet a commencé des démarches pour rejoindre l’Alliance autochtone du Québec (AAQ) en 2014, alors qu’il était incarcéré au pénitencier de Donnacona. « J’ai toujours été proche de la nature. Je n’avais jamais pris le temps de le faire. » Il soutient avoir « des cousins qui vivent encore dans des réserves ».

« Il faut remonter 13 générations en arrière » pour retrouver un ancêtre micmac à Marvin Ouimet, révèle la porte-parole de l’AAQ, Émilie Brousseau. « C’est ce qui a été analysé par nos généalogistes », précise-t-elle. Autrement dit, l’unique ancêtre autochtone du motard a vécu à l’époque de la Nouvelle-France. Aux yeux de l’AAQ, c’est suffisant pour lui accorder une carte de membre.

La « grande chef » de l’AAQ, Danielle Bédard, ne compte elle-même qu’une seule ancêtre autochtone, une femme nipissirienne ayant vécu au début du XVIIe siècle.

À elle seule, cette ancêtre nipissirienne compte aujourd’hui 100 000 descendants, selon une estimation prudente de Darryl Leroux, professeur à la Saint Mary’s University de Halifax, qui s’est penché sur « l’auto-autochtonisation » de milliers de Québécois au cours des dernières années.

Des recherches démographiques ont montré qu’au moins 75 % des Québécois « de souche » ont comme ancêtre l’une des 13 femmes autochtones ayant épousé des colons français avant 1680, explique M. Leroux. Ce « sang indien » est aujourd’hui très dilué ; à peine 1 % coulerait dans leurs veines.

Tout en soulignant que l’AAQ est un organisme reconnu par le gouvernement fédéral, Marvin Ouimet admet que l’autodéclaration est un « problème » qui choque les détenus « traditionalistes », c’est-à-dire les Inuits et les membres des Premières Nations.

« Tout le monde peut se déclarer autochtone et il n’y a aucune vérification. C’est pour ça que [les traditionalistes] se plaignent. Je suis obligé de leur donner raison, il y en a qui veulent juste profiter du système. »

— Normand Marvin Casper Ouimet

Ses codétenus ont vite réalisé que ce n’était pas son cas, poursuit le motard. « Je m’implique beaucoup ici. Je ne suis pas un traditionaliste, mais je prends ça à cœur. C’est pour cela que tous les traditionalistes me respectent ; je suis là pour les bonnes raisons. »

Quatre sources indépendantes ont confirmé à La Presse que Marvin Ouimet prenait son identité métisse très au sérieux. À Donnacona, il s’est marié en suivant les rites autochtones. À Sainte-Anne-des-Plaines, ses démarches auprès des autorités ont conduit à la réouverture d’un local autochtone et du terrain sacré, alors fermés depuis 30 mois. « Hells Angel ou pas, il rame dans le même sens que nous », dit un détenu innu.

TERRAINS SACRÉS

Le terrain sacré était en friche quand Marvin Ouimet a convaincu la direction de l’établissement Archambault de le rouvrir. Aujourd’hui, on y trouve un tipi et une tente de sudation. Les détenus autochtones y ont accès tous les soirs.

Consacrés aux rituels, ces terrains existent dans la plupart des pénitenciers fédéraux. Mais ils seraient parfois utilisés par des détenus s’adonnant à des activités illicites.

« On a des hommes qui ont utilisé le terrain sacré comme cache de toutes sortes de cochonneries », a dit Robert Bourdon, le 7 juin 2018, devant la Commission d’enquête sur les relations entre les autochtones et certains services publics, présidée par Jacques Viens. M. Bourdon travaille en tant qu’aîné auprès des détenus autochtones au pénitencier de La Macaza.

Sans préciser s’il s’agissait de motards ou d’autres criminels, M. Bourdon a raconté qu’il avait insisté auprès de détenus récalcitrants pour que le maître-chien puisse faire sa ronde sur le terrain sacré. « Heille, ils n’étaient pas contents. […] Ben oui, ils perdaient leur cache ! »

Les gardiens ont accès aux terrains sacrés, mais font preuve de respect, explique Frédérick Lebeau, président du Syndicat des agents correctionnels du Canada pour la région du Québec.

« Il y a une règle tacite : on ne fait pas exprès, on respecte les cultures. Mais si on a des motifs raisonnables de croire qu’il y a une activité illicite, on va aller fouiller là. Ce n’est pas un no man’s land. »

— Frédérick Lebeau, leader syndical des agents correctionnels

Gilles Kovacs, qui travaille à titre d’aîné au pénitencier Donnacona, affirme s’être enquis des origines d’un « Hells Angel notoire » auprès des autorités carcérales.

« J’ai dit : “Écoutez, cet individu, vous devez savoir même la couleur de ses shorts. […] Vous devez sûrement le connaître plus que lui, il se connaît lui-même.” Savez-vous ce qu’on m’a répondu ? “Ce n’est pas de notre ressort, ça !” »

« JE PAYE MON CRIME »

En octobre, Marvin Ouimet a porté plainte auprès du SCC après s’être vu refuser l’accès à un « Sentier autochtone » sous prétexte qu’il faisait partie d’un « groupe menaçant la sécurité ». Le programme est interdit aux détenus appartenant à des bandes de motards criminels ou à des gangs de rue.

Or, ce programme est très populaire auprès des détenus, puisqu’il s’accompagne souvent d’une révision à la baisse de leur cote de sécurité. Exclu, Marvin Ouimet y voit de la « discrimination ».

« On commet tous des erreurs dans la vie, plaide-t-il. Je suis loin d’être parfait. Je paye mon crime, je fais mon temps. Mais il y a une chose : la première responsabilité du SCC, c’est la réhabilitation. C’est assez, le jugement. J’ai droit, moi aussi, à des programmes qui pourraient m’aider. C’est pour ça que je me bats. »

Enquête

Un Hells souffrant d’une perte d’identité culturelle

Si Ghislain Vallerand, membre du noyau dur de la section des Hells Angels de Sherbrooke, a sombré dans la criminalité, c’est en raison du « sentiment d’injustice » qui l’habitait face aux mauvais traitements que les autorités canadiennes ont fait subir à ses ancêtres autochtones.

C’est du moins l’une des hypothèses écrites en toutes lettres dans une décision rendue en février par la Commission des libérations conditionnelles. 

« [Vos intervenants] soumettent l’hypothèse que les conflits historiques et actuels entre les collectivités autochtones et le gouvernement pourraient avoir favorisé une méfiance générale et une attitude oppositionnelle envers le cadre et les normes sociales chez vous », lit-on dans la décision. 

« Un sentiment d’injustice pourrait vous avoir poussé vers une position de rejet du mode de vie pro social et avoir contribué à justifier et apporter une certaine légitimité à vos actes délinquants, sans considération pour autrui, considérant la victimisation et les injustices qu’ont eux-mêmes subies les peuples autochtones », écrit le commissaire. 

Selon ce document, Ghislain Vallerand s’identifie comme métis micmac, mais admet ne pas être associé à une communauté autochtone, ne jamais avoir vécu dans une réserve, ne jamais avoir subi les répercussions des pensionnats et ne jamais avoir été victime d’abus sous aucune forme. 

Malgré tout, la Commission prend en considération les « antécédents sociaux autochtones » du motard. « Bien que vous ayez peu de connaissance sur votre culture, il est possible que les impacts et la perte de votre culture puissent avoir eu certaines répercussions sur votre mode de vie, vos valeurs et sur votre cycle de délinquance », écrit le commissaire, qui ne croit cependant pas que ces impacts « expliquent, à eux seuls, l’importance de [la] criminalité » de Ghislain Vallerand.

Gaétan David

La Commission a également pris en compte les « antécédents sociaux autochtones » du Hells Angel Gaétan David lorsqu’elle l’a mis en liberté surveillée, le 19 février.

Pourtant, le motard a admis ne pas connaître sa communauté d’appartenance et ignorer si certains membres de sa famille avaient subi les pensionnats. Quels sont donc, alors, ses « antécédents sociaux autochtones » ? Si l’on en croit cette décision, le Hells Angel doit composer avec « la perte de [sa] culture et de [son] identité culturelle ».

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.