Science 

Fécondité africaine et surconsommation américaine

Depuis quelques mois, de nombreuses voix s’élèvent pour s’inquiéter de la croissance de la population mondiale, dans un contexte de réchauffement de la planète. À la fin du mois de septembre, un éminent démographe américain, John Bongaarts, du groupe de réflexion Population Council, a publié un essai sur la question dans la revue Science.

L’explosion africaine

La population actuelle du continent africain est de 1,3 milliard d’habitants. L’Organisation des Nations unies (ONU) prévoit que ce nombre aura triplé à la fin du siècle. Pour John Bongaarts, qui signe son texte de la revue Science avec un climatologue du Centre national de recherche atmosphérique du gouvernement américain, c’est beaucoup trop. « Chaque habitant des pays pauvres produit beaucoup moins de gaz à effet de serre que ceux des pays riches, explique M. Bongaarts. Mais les émissions totales des pays riches sont en baisse parce qu’ils ont les moyens d’adopter des technologies propres et que la croissance économique est concentrée dans les services. Alors que dans les pays pauvres, la transformation économique nécessite beaucoup d’énergie, notamment pour les infrastructures. Pour éviter de froisser les pays africains, les démographes ont cessé de parler de contraception et font comme si la croissance de la population n’était plus un problème. Je crois qu’on fait fausse route et qu’on doit mettre des efforts sur ce point. » M. Bongaarts donne l’exemple du Bangladesh et du Pakistan, qui étaient auparavant un seul et même pays : le premier a réussi à réduire le nombre d’enfants par femme et devrait voir sa population plafonner à 200 millions en 2050, alors que le Pakistan atteindra 350 millions d’habitants en 2075. Et pourtant, en 2000, ils avaient le même nombre d’habitants, soit 150 millions.

La réplique

Les critiques de John Bongaarts se concentrent sur la contribution américaine et chinoise au problème des émissions de gaz à effet de serre : les États-Unis en émettent beaucoup parce qu’ils consomment beaucoup, et la croissance économique chinoise effrénée fait grimper en flèche les émissions par habitant. « Quand on parle des changements climatiques, s’inquiéter de l’impact de l’augmentation de la population en Afrique n’a pas grand sens », explique Yves Charbit, démographe émérite à l’Université Paris-Versailles. « Son rythme de croissance, bien que rapide, a en effet beaucoup moins de conséquences immédiates que le mode de consommation des populations occidentales et de la masse des consommateurs chinois et indiens. Il faut plutôt mettre des efforts pour changer le mode de production économique et miser sur les énergies renouvelables, à commencer par les pays développés. » On pourrait par ailleurs avancer qu’il est nécessaire d’avoir une augmentation de population pour avoir une croissance économique et être assez riche pour se permettre des technologies plus propres et s’adapter aux changements climatiques, note John May, démographe de l’Université Georgetown, à Washington, qui a été chef du service démographique de la Banque mondiale pendant 15 ans.

EN CHIFFRES

100

Tonnes par année d'émissions de gaz à effet de serre d’un Nord-Américain moyen

1,5

Tonne par année d'émissions de gaz à effet de serre supplémentaires liées à la consommation régulière de viande

1,3

Tonne par année d'émissions de gaz à effet de serre supplémentaires d’un Torontois qui habite en banlieue par rapport à un autre qui habite dans les quartiers centraux

De 2 à 2,5

Tonnes d'émissions de gaz à effet de serre liées à un voyage aller-retour de Montréal-Europe

Sources : Ecowatch, Journal of Industrial Ecology

Le retour de Malthus

Les critiques de John Bongaarts qualifient ses thèses de « néo-malthusiennes ». Thomas Malthus était un pasteur et économiste britannique qui, au début du XIXe siècle, a publié un essai affirmant que la population croît toujours plus vite que les ressources disponibles, condamnant l’humanité à la pauvreté. La deuxième édition de son essai a tempéré ce pessimisme, mais son nom est depuis associé aux craintes de surpopulation et de catastrophe écologique.

Émissions annuelles de gaz à effet de serre par habitant

(Tonnes d’équivalents CO2, industrie seulement)

États-Unis 4,4

Canada 4,1

Chine 2

France 1,3

Niger 0,03

Source : EPA

Le piège chinois

La Chine sera-t-elle prise dans le « piège du revenu moyen » (middle income trap) ? Ce concept, qui postule que la Chine a abaissé trop vite son taux de fécondité et qu’elle pourrait bientôt manquer de travailleurs pour continuer son essor économique, est crucial pour l’avenir de la planète. « La Chine n’est pas arrivée au point où les émissions de gaz à effet de serre diminuent même si le PIB augmente », explique John Bongaarts, auteur du récent essai « néo-malthusien » dans Science. « Si elle reste prise dans un niveau de développement économique moyen, ce qu’on appelle un pays émergent plutôt qu’en voie de développement, elle ne parviendra pas à décarboner son économie. » Toutes proportions gardées, le Japon et la Corée du Sud étaient trois fois plus riches que la Chine quand les personnes de plus de 60 ans ont franchi le seuil des 10 % de la population, en 2015, année où le nombre de personnes en âge de travailler a commencé à décliner. 

Débat sur l’immigration

Le 1er avril 2013, Joseph Chamie, ancien directeur de la division de la population de l’ONU, a publié dans une revue de l’Université Yale une satire dans laquelle il proposait que les États-Unis décuplent à 10 millions par année l’immigration, afin de devenir en 2100 le pays le plus populeux du monde, avec 1,6 milliard d’habitants. Depuis, il reçoit régulièrement des messages d’insultes de gens qui croient qu’il était sérieux. « C’est assez ironique, parce que je suis moi aussi favorable à la diminution de l’immigration vers les États-Unis, dit M. Chamie. Les immigrants adoptent nos habitudes de consommation et les émissions de gaz à effet de serre bondissent. Il vaudrait mieux en admettre juste assez pour stabiliser la population du pays, pour compenser la baisse du taux de fécondité. Mais il est devenu impossible de prôner cela, on vous traite de raciste. La gauche est devenue l’alliée objective du patronat qui veut garder les salaires bas avec l’immigration. » M. Chamie s’est même immiscé dans le débat sur le terme « immigration illégale » (unlawful immigration), décriant l’utilisation du terme « immigrant sans permis de séjour » (undocumented) comme une tentative de créer la confusion.

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