Attentat à Québec

Amateur d’armes et islamophobe

Alexandre Bissonnette craignait et détestait les musulmans. Mais il aimait les armes. Durant les longues heures qu’a duré son interrogatoire, l’homme de 27 ans, qui a grandi à Cap-Rouge, en banlieue de Québec, n’a pas caché son hostilité envers les membres de la communauté musulmane, révèle une source proche de l’enquête.

Qui donc est cet étudiant, ce frère, ce fils, accusé de six meurtres et de cinq tentatives de meurtre ? D’abord, c’est un amateur de tir sportif et d’armes à feu. Membre des cadets durant quelques années, il s’entraînait récemment dans un club de tir de la région de la capitale, selon nos informations.

Hier, le club de tir Les Castors, situé à Québec, a d’ailleurs reçu la visite de la police. « La GRC est débarquée pour voir les registres », a confirmé Éric Smith, président de l’organisme. Il a ajouté ne pas connaître Alexandre Bissonnette, précisant que son club compte plusieurs centaines de membres. Un administrateur de l’autre centre de tir de la région, situé à Beauport, a confirmé à La Presse que le suspect ne figure pas parmi ses membres.

Ceux qui connaissent Alexandre Bissonnette parlent d’un gars « tranquille », « normal », voire « antisocial » et parfois victime de railleries. Si certains vont jusqu’à le qualifier de « troll » sur l’internet, personne n’avait vu venir son geste.

Pas à Cap-Rouge, où la maison familiale a été investie par des enquêteurs une bonne partie de la journée d’hier. Rue Tracel, Alexandre et son frère jumeau étaient des figures connues. « Je les vois presque tous les jours », a raconté Alain Thivierge, qui habite en face.

Pas à Drummondville, où habitent sa grand-mère et une partie de sa famille.

Pas dans le petit immeuble de logements où il louait un appartement, à quelques pas du Centre culturel islamique qu’il a attaqué, et où les voisins se souviennent très bien d’avoir vu sa voiture grise dans le stationnement. 

Ni à l’Université Laval, où il disait, sur son profil Facebook, étudier en anthropologie et en sciences politiques, ou dans le reste de son entourage. « Quand on parlait de lui et de son frère jumeau, on les appelait “le méchant” et “le gentil”. Son frère était beaucoup plus aimable », a raconté Marc-André Malenfant, qui a connu Alexandre Bissonnette au secondaire – il fréquentait le collège des Compagnons. 

Initié au maniement des armes

Une autre ancienne camarade de classe, Stéphanie Guimond, se souvient que les frères Bissonnette avaient peu d’amis. Ils ne seraient pas allés à leur bal de fin d’études, dit-elle. « Alexandre, surtout, avait une personnalité antisociale », a témoigné la femme, qui a fait tout son secondaire avec le suspect. « Comme il était toujours à part, il attirait les railleries. Il répondait avec des insultes, et les confrontations semblaient l’amuser. »

Environ à la même époque, Alexandre Bissonnette était membre des cadets, où il a vraisemblablement été initié au maniement des armes. William y a côtoyé Alexandre au début des années 2000. « Comme tous les cadets, Alexandre devrait avoir été initié au maniement des armes à feu, explique l’homme. On commence avec une carabine à air comprimé, et il faut franchir plusieurs étapes avant de pouvoir utiliser une véritable arme. C’est un long processus. » William ignore si Alexandre a terminé avec succès son cours. En revanche, il se souvient bien de ce jeune garçon et de son frère jumeau. C’était, dit-il, un garçon introverti, mais pas dysfonctionnel socialement.

« Je garde le souvenir d’un garçon très normal. Rien ne ressortait de son caractère. »

Plus récemment, Marius Valentino fréquentait l’accusé dans un contexte social. « Je l’ai vu il y a deux semaines environ. On a pris une bière ensemble. Il aimait parler de politique, mais n’a jamais eu des propos déplacés. Il n’a jamais manifesté d’admiration pour des politiciens extrémistes, dit-il. C’était un gars tranquille, pas du tout violent. Je n’aurais jamais imaginé qu’il puisse faire quelque chose comme ça. »

Aux yeux de François Deschamps, qui gère la page internet du groupe Bienvenue aux réfugiés, Alexandre Bissonnette est un « troll ». En voyant sa photo circuler dans les médias en tant que suspect de la tuerie de dimanche soir, il a immédiatement reconnu un individu qu’il connaissait déjà pour son harcèlement en ligne. « Ça faisait un an qu’on le voyait aller. »

Selon lui, l’homme s’en prenait surtout aux groupes féministes, qu’il qualifiait de « féminazis ». À sa connaissance, il n’était pas proche des groupes ouvertement racistes.

« Ça m’a scié les jambes »

Hier, à Cap-Rouge, les parents et le frère d’Alexandre Bissonnette n’ont pas répondu à nos demandes d’entrevue. À Drummondville, où habite une partie de la famille, c’était le choc.

Lorsqu’ils ont vu la photo de leur petit-neveu apparaître à la télévision, Diane Hébert et Alain Marcoux ont cru à une méprise. « Je me suis dit : “Il y a beaucoup d’Alexandre Bissonnette au Québec, ils ont mis sa photo par erreur, explique la femme. Ce n’est pas lui qui est mêlé à tout ça, c’est certain.” » D’heure en heure, ils ont réalisé que l’homme soupçonné d’avoir tué 6 personnes et fait 19 blessés la veille était bien le même Alexandre qu’ils ont vu grandir.

« Ça m’a scié les jambes. Je suis sous le choc. Je pensais qu’Alexandre était une personne ordinaire, à son affaire, a dit Mme Hébert. Ce n’était pas quelqu’un qui avait des problèmes avec la police, avec la drogue, avec tout ça. Il n’était pas isolé, sa famille était là pour lui. »

Diane Hébert et Alain Marcoux connaissent Alexandre et son frère jumeau Mathieu depuis leur enfance. « Leurs personnalités étaient différentes. Mathieu aimait toujours bouger, il était plus nerveux, alors qu’Alexandre était plus calme. » Les parents des jumeaux, Manon Marchand et Raymond Bissonnette, voulaient ces derniers temps que les deux hommes quittent le nid familial de Québec, alors ils leur ont loué et meublé un appartement, explique Mme Hébert.

« Les parents avaient tout acheté pour eux, la laveuse, la sécheuse… Les jumeaux ont été dans l’appartement, mais ils n’ont pas aimé ça, ils l’ont trouvé trop bruyant, alors ils ont déménagé. Ils retournaient souvent chez leurs parents pour faire la popote, prendre des repas. Ils n’étaient pas autonomes. » 

Hier, Alain Marcoux cherchait à s’expliquer comment le jeune homme poli et bien habillé qu’il voyait à Noël et dans les réunions de famille aurait pu se radicaliser au point de commettre le geste sanglant dont il est accusé.

« Est-ce qu’il s’est fait enrôler ? Est-ce qu’il s’est fait embarquer dans une bébelle et ils lui ont lavé le cerveau ? Aucune idée. S’il a fait ce qu’on lui reproche, c’est grave », a dit M. Marcoux.

— Avec Martin Croteau, Audrey Ruel-Manseau et Pierre-André Normandin

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