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La course contre la mort

C’est une course contre la mort. Tous les ans, des malades voyagent à l’étranger pour obtenir des traitements pharmaceutiques indisponibles au Québec. Mais aucune histoire ne ressemble à celle de Yan Défossés. Faire euthanasier six cochons, prendre seize avions, copier un traitement ultra-secret, passer des milliers de dollars à la douane… Pour sauver son fils, il ne recule devant rien.

« C'est devenu une épopée »

Quand des gyrophares ont soudain percé la nuit, Yan Défossés filait dans le noir, dans un rang de campagne de l’État de New York. Le résidant de Sorel a continué à rouler à 100 km/h, convaincu d’être rattrapé par une ambulance. C’était plutôt la police.

« J’étais tellement stressé en donnant mes papiers que j’ai perdu mon anglais ! dit-il. J’entendais les questions comme au ralenti, dans un écho… »

Avant de passer la frontière, Yan Défossés et son père avaient rempli leurs sacs de billets de banque, un butin de 25 000 $.

Comme dans les films de gangsters.

Sauf que Yan Défossés, 42 ans, n’a rien d’un gangster. C’est un père en mission. Celle de sauver son fils cadet Liam, atteint d’une maladie cruelle, l’amyotrophie spinale. Elle finit par paralyser les membres, la gorge et les poumons, parfois en quelques mois à peine.

« C’est le plus grand tueur génétique de bébés sur la planète », résume l’entrepreneur en communications.

Lorsque les policiers américains l’ont intercepté – sans remarquer ses sacs d’argent –, il était en pleine course contre la montre.

Cette nuit-là, ce n’était plus une question de semaines, mais d’heures. Le père d’un enfant ayant la même maladie que Liam attendait la contribution des Défossés pour s’envoler illico pour la Chine et il habitait le centre des États-Unis. « Son avion partait le matin. J’ai conduit 36 heures d’affilée, aller-retour, toute la nuit. »

L’homme d’affaires américain (qui a exigé que Yan Défossés ne révèle jamais son nom) a attrapé son vol, en emportant 70 000 $ dans ses valises. C’était le prix à payer pour qu’un laboratoire chinois leur fabrique une molécule potentiellement révolutionnaire, mais encore jamais testée sur des humains.

Leurs fils de 3 et 4 ans seraient les premiers cobayes de la planète.

Un mauvais pressentiment

Sorel en août dernier. Liam regarde des dessins animés dans une grande poussette inclinée. Son regard attentif transperce ses lunettes. Un mince tube sort de son nez. Un autre aspire sa salive.

Les machines à remonter dans le temps fascinent le garçon de 7 ans. « Il en parle sans arrêt, dit son père, c’est presque une obsession. » Enthousiaste, Liam confirme : « Je voudrais retourner à l’époque des dinosaures ! »

Chez les Défossés, pas besoin de remonter aussi loin pour visiter un autre monde. Le mur du salon affiche une belle photo de famille. On y voit Liam petit bébé, ses yeux bleus aux longs cils, son sourire réjoui, son grand frère Malou et leurs parents.

À l’époque, fin 2012, la petite famille vit dans un appartement aux murs colorés, dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, à Montréal. Yan Défossés et sa conjointe, Emmanuelle Desbiens, travaillent en production web et vidéo et en infographie. Liam a environ 3 mois. La vie devant lui.

C’est du moins ce que croient ses parents avant qu’un mauvais pressentiment s’installe. « Liam était mou, dit sa mère, et il ne prenait plus de poids. »

Le 24 janvier 2013, les médecins de Sainte-Justine les assomment. Liam, 4 mois, est atteint d’un problème génétique très grave. Sa maladie détruit les cellules responsables des mouvements – les motoneurones –, parce que son corps ne sécrète pas la substance requise pour les protéger.

«  Ils n’arrêtaient pas de répéter que Liam allait décéder d’ici deux ans, qu’il n’y avait rien à faire pour lui, d’avoir un autre enfant, qu’il serait un fardeau…  »

— Yan Défossés

« Le neurologue a dit : “Je vous laisse mon bureau, videz vos larmes.” »

Deux semaines de trop

Sonné, mais décidé à se battre, Yan Défossés écume l’internet tout l’hiver. En mars 2013, l’espoir s’affiche à l’écran : le mois suivant, un traitement expérimental contre l’amyotrophie spinale doit être testé sur des poupons. Il pourrait stopper la destruction de leurs nerfs et de leurs muscles.

Mais Liam ne répond pas aux critères de l’étude… il est né 17 jours trop tôt.

Yan Défossés supplie la société ISIS (devenue IONIS) de lui vendre directement son traitement expérimental. Il presse Sainte-Justine de l’importer grâce à une permission spéciale de Santé Canada. Implore des chercheurs et des laboratoires canadiens de lui en fabriquer une copie.

En vain : « Tout le monde avait peur des poursuites. »

Ex-étudiant en sociologie, il continue à déchiffrer des brevets pharmaceutiques ultra-compliqués, des études scientifiques pointues et des centaines de publications sur les réseaux sociaux.

Un beau jour, il découvre avec stupéfaction la vidéo d’un petit Américain né un an avant Liam, avec des symptômes encore plus graves. Et pourtant, il manie des baguettes, ses bras bougent encore.

« J’ai écrit à sa mère pour demander s’il prenait des médicaments. Elle m’a répondu : “Si tu veux en savoir plus, parle à mon mari…” »

Seize vols

Quelques semaines plus tard, Yan Défossés et Liam, 14 mois, fendent les nuages. Leur avion se dirige vers Cancún, au Mexique, où le père américain leur a donné rendez-vous dans un hôpital au plancher de marbre. Depuis des mois, l’autre garçonnet y reçoit toutes les six semaines une injection dans la moelle épinière.

Chaque fois, l’Américain doit cacher dans ses bagages des fioles pleines de matériel génétique cristallisé. Grâce à son frère médecin spécialiste, l’homme d’affaires a pu recréer la recette du traitement expérimental d’ISIS (modifiée pour éviter les poursuites).

Officiellement, la petite biotech qu’il a fondée fait de la recherche sur les animaux. Mais dès qu’il reçoit ses cristaux, il demande à un second laboratoire de les purifier.

En un an, Liam s’envole huit fois pour Cancún avec tout un attirail : son appareil respiratoire, son tube naso-gastrique, sa pompe à salive, sa nourriture spéciale… « Je passais le vol debout pour lui laisser nos deux sièges, raconte son père. Liam n’était plus capable de se tenir assis. »

« Une fois, son appareil respiratoire s’est déchargé et l’agent de bord ne voulait pas que je le branche ! »

À l’hôpital, on ne le laissait pas entrer dans la salle avec Liam. « Il était tout petit et je l’entendais hurler pendant l’intervention. C’était très poignant. »

Des proches ont cru que Yan Défossés était fou ou victime d’une arnaque. Injecter une molécule artisanale à un patient est impensable au Canada et aux États-Unis. Aucun médecin n’accepterait de le faire. « Mais l’hôpital mexicain a étudié tout notre protocole et compris qu’il était sérieux, assure M. Défossés. On n’a pas répondu à l’offre d’une clinique chinoise ou indienne, on a contrôlé le processus de A à Z. »

D’abord sceptique, la mère de Liam a été emportée dans le tourbillon. « C’est devenu une épopée ! raconte Emmanuelle Desbiens. Les voyages étaient très rapprochés. Il fallait produire beaucoup d’argent. »

Des amis et des inconnus leur ont envoyé des chèques. « Une dame et sa tante nous ont remis plusieurs milliers de dollars ! » s’exclame Yan. D’autres gens ont rempli des tirelires de pièces de monnaie et de billets de banque, gagnés en jouant les emballeurs bénévoles.

Mais le laboratoire qui les approvisionnait a fini par savoir que le traitement expérimental était utilisé sur des enfants plutôt que sur des animaux. Les deux familles n’avaient plus qu’une petite réserve.

Liam avait 2 ans. La maladie était prête à continuer ses ravages.

Il fallait un plan B.

250

Nombre de Québécois qui souffrent d’amyotrophie spinale

1/6000

Proportion de bébés québécois qui naissent avec l’amyotrophie spinale

Source : estimation de l’association Cure SMA Québec

Cinquante fioles chinoises

Indémontable, Yan Défossés ressort son passeport. Toute une année vient de s’écouler. Son plan B se concrétise enfin : une cinquantaine de fioles pleines de poudre jaune l’attendent dans une case postale de Burlington, au Vermont.

« Les bouteilles étaient emballées individuellement dans du papier journal. Je les ai déballées pour qu’elles aient l’air moins louches. J’avais amené Liam avec moi, j’ai tout rangé dans son sac à couches, c’était mon capital sympathie en cas de problème aux douanes.

« J’étais prêt à dire que c’étaient des suppléments alimentaires ! »

Les fioles de verre qu’il rapporte contiennent en fait la fameuse molécule achetée en Chine. Le père américain, qui a des employés ou des contacts dans le monde entier, l’a d’abord fait analyser et purifier.

Il a aussi convaincu un grand chercheur de la tester sur des souris génétiquement modifiées (pour porter la maladie de son fils et de Liam). « Nos souris étaient toujours là après 120 jours, alors que la maladie les tue normalement en 7 jours », rapporte Yan Défossés.

Cette fois, c’est lui qui avait déniché la recette en fouillant des brevets de centaines de pages. Les deux familles savaient qu’une société pharmaceutique s’apprêtait à tester sur des humains les molécules visées.

« On a choisi la molécule qui semblait la plus facile à faire fabriquer et la moins dangereuse, en espérant être tombés sur la bonne… »

— Yan Défossés

Six petits cochons

Yan Défossés roule bientôt à travers champs, en Montérégie. Six porcelets achetés dans une ferme de Sainte-Christine couinent et grouillent dans leurs boîtes sur le plancher de sa mini-fourgonnette. Ce seront ses cobayes.

« Même le fabricant n’avait jamais testé le médicament sur des humains, il fallait le faire sur un animal plus gros que nos souris. »

L’homme recommence donc à envoyer un déluge de courriels. Sa fougue émeut Mélanie Latulippe, qui donne des cours de protocole expérimental à l’Institut de technologie agroalimentaire, doté d’une petite porcherie.

« J’avais le goût que quelqu’un puisse lui dire oui, pour une fois », dit l’employée du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ). Un comité d’éthique de l’Université de Montréal a aussi donné son feu vert à l’un de ses chercheurs.

Des élèves de l’école nettoient les pattes des porcelets et servent leur moulée. Mme Latulippe se charge de dissoudre la molécule dans du vinaigre de cidre et de l’administrer. « Mais une gorgée de vinaigre, ce n’est pas ragoûtant, alors je diluais le mélange dans une batch de compote de pommes maison. Les porcelets adorent ça. »

Les cochons ne se laissent pas faire, explique Jérôme Del Castillo, professeur de biomédecine à la faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal. « Ils sont de nature très insoumise, se débattent comme des fous, hurlent. Et il ne fallait pas les stresser, ça aurait pu fausser les résultats. »

Des dizaines de fois, pendant cinq semaines, des techniciens font des prélèvements sanguins et des analyses. Un professeur de biologie du cégep de Saint-Hyacinthe s’assure que la molécule ne provoque pas de mutations génétiques. Puis, une vétérinaire exécute une nécropsie (l’équivalent d’une autopsie), pour s’assurer que les organes internes des cochons ne sont pas endommagés.

« À la fin, dit le professeur Del Castillo, on a pu être confiants qu’on ne mettrait pas Liam en danger. »

Plus besoin de compote. À trois ans et demi, le garçonnet commence à recevoir son nouveau sirop à travers le tube qui relie son nez à son estomac.

Mille souvenirs

Aujourd’hui, des centaines d’enfants et d’adultes – dont une demi-douzaine de petits Québécois – avalent une substance apparentée en participant aux études cliniques de la société Roche. Elle espère obtenir l’autorisation de commercialiser son produit à partir de cette année.

Liam a cessé d’en prendre au bout d’un an, parce que la version de son père le rendait photosensible. Et parce qu’au lendemain de ses 4 ans, la Food and Drug Administration américaine a approuvé le premier traitement testé sur lui – celui qu’un médecin mexicain lui avait injecté huit fois à Cancún. Son prix ? Environ 30 fois ce que payaient Yan Défossés et le père américain pour produire leur version artisanale.

Pendant deux ans, la société Biogen (détentrice des licences d’IONIS) a fourni gratuitement les injections de Liam – ce qu’IONIS avait toujours refusé de faire. Depuis décembre 2018, après une longue lutte, Québec a commencé à assumer la facture.

Même si ses muscles ont arrêté de fondre, Liam ne peut suivre son grand frère Malou à l’école ; ses parents se chargent de lui apprendre le français et les mathématiques. « En grandissant, il devient plus lourd, explique son père, alors, les muscles qu’on a sauvés ne suffisent plus à lutter contre la gravité. »

Le garçon de 2e année peut toutefois activer des boutons, conduire lui-même son fauteuil motorisé, activer une mini manette de jeu. Et il adore le plein air et les sensations fortes – le traîneau, la plage, la voile, les balades en hélicoptère...

« C’est toujours le premier de la famille à dire oui pour les activités extrêmes ! Il rêve de devenir le premier astronaute à mobilité réduite de l’histoire. »

— Yan Défossés

Dans le spa installé derrière la maison, Liam s’exerce : « C’est un peu comme son gym ! Il danse, il pédale, parce qu’il se retrouve en état d’apesanteur. C’est son lieu de prédilection, hiver comme été », s’amuse Yan Défossés.

L’éternel optimiste ne regrette rien. Les enfants aussi gravement atteints que Liam passent typiquement la moitié de l’année à l’hôpital, avant d’être tués par un rhume. Liam n’a jamais été hospitalisé depuis six ans ni subi de scoliose, dit son père débordant de fierté. « Quand il se réveille le matin, il ne peut pas jouer dans son lit, mais ça lui a donné une imagination merveilleuse ! »

En repensant à son odyssée, Yan Défossés s’émeut surtout des petites choses. Le vent chaud dans les cheveux de son fils sur la plage de Cancún. La générosité de purs inconnus, sans lesquels Liam n’aurait pas survécu. Écouter du blues en roulant avec son propre père, complices pendant leur périple de 3600 km avec leurs sacs lestés de billets de banque.

Faute de traitement, des enfants nés en même temps que Liam sont morts. Lorsqu’il en parle, Yan Défossés a parfois les larmes aux yeux.

Comme son fils, il aimerait bien avoir une machine à remonter le temps. Pas pour voir des dinosaures, mais pour stopper la maladie à temps.

Son rêve n’est peut-être pas si farfelu. De nouveaux traitements contre l’amyotrophie spinale sont en cours de développement. « Et certains, dit-il, font littéralement pousser les muscles. »

« Très fière de savoir qu’il est encore là »

Quel souvenir gardent les bons samaritains qui ont croisé la route de Yan Défossés ? La détermination, l’amour, l’optimisme, le dynamisme, répondent-ils. L’homme les a marqués.

« Ça me remplit de bonheur de savoir que j’ai pu avoir un impact positif sur la vie de ce garçon et de son père qui s’est battu contre vents et marées. Je conserve encore dans mon bureau un échantillon du produit », dit le professeur de médecine vétérinaire Jérôme Del Castillo.

Mélanie Latulippe, du MAPAQ, raconte avoir fait beaucoup d’efforts pour que les émotions ne brouillent pas son jugement scientifique et pour ne pas prendre les résultats de l’expérience trop à cœur.

De temps à autre, la diplômée en agronomie cherche sur Google ou Facebook ce qui est arrivé à Liam. Sa voix s’étrangle en en parlant. « Je m’excuse, ça me rend émotive. Je suis très, très fière de savoir qu’il est encore là. C’est fascinant de voir l’énergie que peut générer le désir de voir survivre son enfant. »

« On peut guider le parent, mais pas prendre la décision à sa place »

Des Canadiens voyagent à l’autre bout du monde pour obtenir des traitements qu’ils ne peuvent se procurer au pays. D’autres les importent. Est-ce recommandable ?

Un parent a-t-il le droit de reproduire ou d’importer un traitement expérimental ?

Apparemment, oui. « Les médecins de Liam étaient intrigués et impressionnés ; ils ne nous ont jamais dénigrés », rapporte Yan Défossés, qui l’a fait pour sauver son fils. Il a toutefois su que d’autres professionnels de la santé avaient dissuadé des parents d’utiliser sa molécule, en menaçant de contacter la Direction de la protection de la jeunesse.

C’est une attitude paternaliste, déplore le bioéthicien Bryn Williams-Jones, professeur à l’École de santé publique de l’Université de Montréal. « Qu’une équipe clinique s’inquiète des risques ou ne veuille pas injecter quelque chose qu’elle ne maîtrise pas, c’est compréhensible. Mais menacer la famille, c’est trop. Il ne s’agit pas ici de maltraitance, pas d’une intervention qui place l’enfant à haut risque. C’est le contraire ; on veut éviter sa mort. »

« On peut guider le parent, résume-t-il, mais pas prendre la décision à sa place. »

Est-ce trop risqué ?

Pour copier des traitements expérimentaux, Yan Défossés et son riche allié américain étaient supervisés par le frère de ce dernier, spécialiste dans un hôpital réputé. « Essayer la même chose avec moins de moyens, de contacts et de connaissances qu’eux, ce serait dangereux », prévient le professeur Williams-Jones.

L’enfant pourrait mourir plus vite ou dans des conditions plus dures, ou subir des séquelles.

Acheter à un fabricant un traitement déjà approuvé ailleurs est moins complexe. « Je m’imaginerais le faire si j’avais un problème de santé très grave et l’impression que Santé Canada se traînait les pieds, affirme Jeremy Snyder, professeur de sciences de la santé à l’Université Simon Fraser, en Colombie-Britannique. Mais il faudrait que le régulateur étranger soit respecté. Les normes diffèrent vraiment beaucoup d’un pays à l’autre. »

Le professeur Bryn Williams-Jones a vu des drames. « On mise trop sur des médicaments présentés comme “miraculeux” par les médias ou par les chercheurs eux-mêmes. Il y a beaucoup de hype. Je connais des gens qui ont tout perdu, y compris leur maison, pour les essayer… »

Toute la famille en paye alors le prix, dit-il. « Le mythe veut qu’il y ait toujours une solution. Mais quand les chances de bénéfices sont presque nulles, il vaut mieux aider les gens à accepter qu’ils vont vivre une tragédie, essayer de donner un sens à quelque chose de très douloureux. »

Combien de Québécois le font ?

Près d’une dizaine de patients de l’Institut et hôpital neurologiques de McGill dépensent des milliers de dollars pour importer eux-mêmes un traitement vendu au Japon et en Chine. Ils ont la SLA, une maladie dégénérative qui tue en quelques années.

« Probablement que je n’attendrais pas non plus, à leur place, affirme le neurologue Rami Massie. Une étude très positive a montré que ce traitement, l’Edavarone, fonctionnait au début de la maladie, il la ralentit de 30 %. »

Nancy Roch, qui travaillait à Radio-Canada, a ouvert la voie en 2017. Trois mois après son diagnostic, elle a découvert l’étude en question en googlant. « J’ai trouvé les coordonnées d’un médecin ; je me suis rendue au Japon et il m’a traitée comme n’importe lequel de ses patients, raconte la femme de 56 ans. Ici, on me disait que je ferais mieux de me trouver une résidence que de perdre mon temps à chercher un médicament… »

Mme Roch est rentrée avec des ampoules dans ses bagages et a dû embaucher une infirmière au privé pour se faire injecter leur contenu. Désormais, grâce à ses pressions, un formulaire permet d’importer le traitement japonais par la poste, car Santé Canada l’a approuvé en 2018, et certains CLSC acceptent donc de l’injecter. « Quand des patients nous demandent ce qu’ils peuvent faire, on leur explique comment procéder », indique le Dr Massie.

Nancy Roch se rend maintenant en Corée du Sud pour subir un traitement de cellules souches approuvé là-bas, qui lui a coûté jusqu’ici plus de 200 000 $.

Le phénomène est-il plus répandu qu’avant ?

« Les gens ne voyagent pas avec un visa médical, alors on ne peut pas vraiment le savoir », souligne le professeur Jeremy Snyder, de l’Université Simon Fraser.

Mais le tourisme médical est sans doute plus populaire qu’il y a 10 ans, avance-t-il. « L’internet permet de trouver toutes sortes de cliniques et le sociofinancement est un nouveau moyen de collecter des fonds. »

Les voyageurs tentent parfois d’obtenir des traitements non approuvés au Canada, ou d’obtenir un traitement offert ici, mais moins cher ailleurs. D’autres veulent éviter les listes d’attente.

Que penser du socio-financement médical ?

Pour payer leurs traitements, des familles utilisent des plateformes de sociofinancement spécialisées comme GoFundMe.com.

Leurs collectes de fonds en ligne dévoilent des détails de santé très personnels au sujet du malade et beaucoup d’informations sur sa famille et son entourage, ce qui met la vie privée en péril, prévient le professeur Snyder.

Ces campagnes peuvent aussi aggraver les inégalités, puisque ceux qui en lancent pour obtenir des anticancéreux sont généralement nantis et instruits, révèle une analyse cosignée par le professeur Snyder et publiée dans le BMJ l’an dernier.

Son confrère Bryn Williams-Jones est d’accord : « Ça crée aussi des injustices quand les parents réussissent à avoir de l’aide parce que leur enfant est cute. »

« Mais on ne peut pas le reprocher au parent, nuance-t-il. C’est lui qui est responsable du bien-être de son enfant, et c’est une responsabilité maximale, qui prévaut sur ses autres responsabilités, plus éloignées et diffuses. On ne peut pas lui demander, au nom du bien commun, de renoncer à défendre sa famille. »

Y a-t-il un impact sur notre système de santé ?

Après leur retour au Canada, les touristes médicaux subissent parfois des complications. Et les soigner peut se révéler ardu et onéreux. « [Ils] rentrent souvent avec une documentation clinique incomplète ou inexistante », a déploré l’Association canadienne de protection médicale en 2016.

« C’est impossible de réglementer ces voyages, mais nos équipes soignantes peuvent faire beaucoup mieux », expose le professeur Snyder. Elles devraient s’assurer que les patients connaissent les risques avant de partir, puis les revoir à leur retour, dit-il. « Il ne s’agit pas de leur donner une bénédiction, simplement de préserver la relation thérapeutique. C’est dans l’intérêt de tous, parce que ces patients pourraient revenir avec une maladie infectieuse contractée à l’étranger. »

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