Chronique

Signal d’alarme pour le CH

Marc Bergevin lit-il la section Affaires de La Presse ? Si ce n’est pas le cas, il a raté une nouvelle susceptible d’influencer son avenir avec le Canadien. Les cotes d’écoute des matchs télévisés de l’équipe sont en baisse de 13 % par rapport à la saison dernière.

Cette donnée, dévoilée par le journaliste Vincent Brousseau-Pouliot dans notre numéro de mercredi, est inquiétante pour l’organisation. Elle illustre le ras-le-bol des amateurs envers le hockey sans saveur proposé par le Canadien. Pire encore : dans la tranche d’âge des 25-54 ans, celle prisée par les annonceurs, la baisse est de 23 %.

Ce n’est pas tout : à ma grande surprise, les cotes d’écoute sont plus faibles que lors de la saison 2011-2012, lorsque l’organisation a eu la terrible maladresse de nommer un entraîneur-chef incapable de s’exprimer en français. Cette décision a entamé le capital de sympathie dont profitait l’équipe.

Six ans plus tard, d’autres facteurs contribuent au désintérêt des partisans. L’équipe semble gérée dans l’improvisation la plus totale. Geoff Molson assure que son DG a un plan, mais bien malin qui est capable d’en percevoir les contours. Difficile de vendre l’espoir dans ces circonstances.

Au cours des dernières semaines, on a beaucoup parlé des nombreux sièges vides au Centre Bell. Ce fut encore le cas jeudi contre les Hurricanes de la Caroline. Mais du haut de la tribune de presse, c’est l’absence d’enthousiasme du public qui m’a marqué.

Si la grosse machine promotionnelle du Canadien n’enclenchait pas à fond la sono pour créer une ambiance artificielle, le calme du public deviendrait encore plus évident.

Un exemple : après une première période pitoyable, l’une des pires jouées par le CH à domicile depuis longtemps, le match s’est considérablement animé. Et, une fois n’est pas coutume, on a eu droit à un spectacle digne des années 80, avec des buts à profusion et des gardiens ne dominant pas les rencontres. Malgré tout, lorsque le Canadien a tenté de créer l’égalité dans la dernière minute de jeu, la foule n’a pas appuyé ses favoris avec sa passion habituelle.

La réalité à l’intérieur du Centre Bell est une chose. Celle des cotes d’écoute en est une autre, tout aussi importante.

On peut analyser les données comme un sondage politique, car elles reflètent l’humeur du public. Et peu importe si on se présente aux élections ou si on administre un club de hockey, une baisse de 13 % est une claque en plein visage.

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On le sait, les gens consomment maintenant le sport professionnel de plusieurs manières. La télévision et, dans une moindre mesure, la radio ne sont plus les seules façons de suivre les activités des équipes. Le web offre plusieurs possibilités. Des sites permettent de suivre toutes les rencontres en même temps, grâce à des graphiques et à des données statistiques.

C’est particulièrement utile pour les amateurs de la NFL, qui profitent d’outils bien développés. Le baseball majeur propose aussi un contenu d’une richesse inouïe sur son application. Et si on aime la LNH, rien de plus facile que de regarder les faits marquants des matchs de la veille sur son téléphone intelligent en buvant son premier café du jour.

Bref, sans même ouvrir la télé, les amateurs peuvent suivre leur sport préféré mieux que jamais. Il est certain que cela contribue en partie à la baisse des cotes d’écoute.

Les revenus tirés des contrats de télé demeurent néanmoins la vache à lait du sport professionnel, même si des sociétés comme Facebook, Twitter et Amazon sont prêtes à faire de gros chèques pour obtenir leur part du gâteau. L’an dernier, par exemple, Amazon a battu Twitter pour obtenir le droit de présenter des matchs de la NFL sur sa plateforme numérique. Et le quotidien The Guardian nous apprend que Facebook vient d’embaucher un gestionnaire de télé sportive pour diriger ses initiatives dans le sport professionnel.

Malgré cet environnement plus fragmenté, les réseaux demeurent prêts à verser des fortunes pour acquérir les droits de diffusion. La NFL obtiendra de nouveau des centaines de millions pour son forfait de matchs du jeudi soir actuellement offert aux diffuseurs, même si les cotes d’écoute sont en baisse.

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Puisqu’ils dépensent beaucoup d’argent pour acquérir des « propriétés » sportives, les réseaux veulent des résultats. Et sur ce plan, le CH ne livre pas la marchandise espérée.

TVA Sports, par exemple, compte sur les matchs éliminatoires du Canadien pour rentabiliser son investissement. Il s’agit du meilleur moment de la saison, celui où le bassin de téléspectateurs s’élargit. Partout au Québec, les gens s’installent devant leur télé pour participer à la fête. Or, à moins d’une participation miracle au prochain tournoi de la Coupe Stanley, le Canadien aura disputé à peine six de ces matchs en trois ans.

En se départant de P.K. Subban et en ne s’assurant pas du retour d’Alexander Radulov, Bergevin a pris deux décisions risquées. Il faut du cran pour faire l’impasse, deux années d’affilée, sur le joueur le plus populaire de l’équipe. La seule manière de convaincre les fans que ces gestes sont bien avisés, c’est de gagner.

À l’heure actuelle, Bergevin perd sur les deux tableaux. L’équipe manque de joueurs électrisants et pâtit en bas de classement. Pendant ce temps, Subban et Radulov ont du succès avec leur équipe respective. Les amateurs, qui raffolent du Canadien, ne sont pas dupes. Ils voient bien que l’équipe s’en va dans la mauvaise direction.

Si Geoff Molson doutait encore de la réaction des fans, la baisse significative des cotes d’écoute lui ouvrira peut-être les yeux. Au-delà des évolutions dans la manière de consommer le sport professionnel, la télé demeure un média très puissant. Et le signal d’alarme est sans ambiguïté.

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