Chronique

La taxe scolaire revue, corrigée… et encore injuste

D’une réforme de la taxe scolaire à l’autre, Montréal ne tire jamais le numéro chanceux.

Alors que les propriétaires de certaines régions auront droit à des baisses annuelles allant jusqu’à 560 $, les Montréalais devront se contenter d’économies de quelques dizaines de dollars, eux qui paient déjà une copieuse facture de taxe scolaire.

Pour l’équité, il faudra repasser.

Pourtant, le projet de loi 166 déposé par le ministre de l’Éducation Sébastien Proulx, la semaine dernière, a pour but de réduire les iniquités entre les contribuables au sein d’une même région. Mais la solution retenue va exacerber les injustices d’une région à l’autre.

***

Québec n’avait plus le choix d’agir pour mettre fin au « magasinage » de commission scolaire qui menaçait de faire imploser le système. En ce moment, la loi permet aux propriétaires qui n’ont pas d’enfants inscrits à l’école de payer leur taxe à la commission de leur choix, francophone ou anglophone, sur leur territoire.

Dans certaines régions, la différence de taux entre les deux commissions va du simple au triple. Alors, un nombre croissant de contribuables utilisaient cette astuce pour réduire leurs taxes. Mais à la longue, ce magasinage accentuait les iniquités, explique Luc Godbout, directeur du département de fiscalité de l’Université de Sherbrooke.

La commission scolaire qui perdait des contribuables au profit de la commission scolaire ayant un taux de taxation plus faible était obligée d’augmenter son taux pour compenser la perte de revenus. Ainsi, l’écart de taux devenait encore plus large et encourageait encore plus de contribuables à payer leur taxe dans la commission meilleur marché. « C’était comme le principe de la saucisse Hygrade », illustre M. Godbout.

Pour régler le problème, Québec a donc décidé d’appliquer le même taux de taxation à tous les contribuables d’une même région administrative.

Si le gouvernement avait utilisé le taux moyen des différentes commissions scolaires de la région, la réforme aurait pu se faire à coût nul. Mais elle aurait fait des gagnants et des perdants.

Alors, Québec a préféré niveler par le bas, en appliquant le taux le plus faible de toutes les commissions scolaires à l’ensemble des contribuables de la région. Pour compenser le manque à gagner, Québec versera 670 millions aux commissions scolaires qui perdront des revenus de taxe. C’est le prix à payer pour qu’il n’y ait aucun perdant à l’approche des élections.

***

Sauf que cette réforme n’a aucune logique. Québec va distribuer les millions de façon aléatoire, en favorisant les régions où l’on trouve les écarts les plus larges, au détriment des autres, à commencer par Montréal, où les résidants n’auront droit à rien du tout, puisque les taux sont uniformisés depuis 1972.

D’accord, Québec va aussi offrir une exemption de taxe sur la première tranche de 25 000 $ d’évaluation foncière, pour que les propriétaires de la métropole ne soient pas complètement laissés-pour-compte. Mais cela n’apportera que 44 $ d’économie annuelle, tout au plus. Une broutille.

Où est la logique ? Où est l’équité fiscale ?

Si le système était vraiment juste, chaque propriétaire paierait en fonction de sa valeur foncière, peu importe sa région. Mais ce ne sera pas le cas du tout.

Après la réforme, une famille type de Blainville paiera 400 $ de taxe scolaire, par exemple. C’est deux fois moins que la même famille établie à Montréal, qui versera plus de 800 $. Pourtant, le prix médian d’une maison unifamiliale de Blainville n’est que de 20 % inférieur au prix de l’île de Montréal.

Trouvez l’erreur.

***

En fait, le nouveau système ne fera que cristalliser et élargir à l’échelle régionale les anomalies du passé.

Le cas le plus clair est celui de la région des Laurentides, qui se retrouvera avec le taux de taxation le plus bas de la province, soit 11 cents par 100 $ d’évaluation foncière.

Ce nouveau taux est calqué sur le taux actuel de la commission scolaire des Laurentides, qui est extrêmement faible, car son territoire renferme des demeures très cossues de Tremblant et compte peu d’élèves puisque de nombreuses maisons sont des résidences secondaires.

Du côté anglophone, la commission scolaire Sir-Wilfrid-Laurier couvre un territoire beaucoup plus vaste qui inclut Laval, les Laurentides et Lanaudière. Son taux de taxation s’élève à 35 cents, soit le maximum permis par Québec. Bon an, mal an, la commission scolaire perd donc 1000 contribuables (sur un total de 25 000), qui veulent réduire leur facture. « Ça nous fait très mal », dit la présidente Jennifer Maccarone, qui dirige aussi l’Association des commissions scolaires anglophones du Québec.

La réforme mettra fin à cet exode, au grand plaisir des propriétaires de toutes les Laurentides qui profiteront de « l’effet Tremblant ». Tant mieux pour eux. Mais il n’y a rien qui justifie que les familles de Saint-Jérôme ou de Sainte-Agathe aient un taux de taxation trois fois plus bas que celles de Shawinigan ou de Saguenay.

***

Un jour, il faudra se demander à quoi rime la taxe scolaire, un vestige du siècle passé bourré de défauts. Pour Luc Godbout, cette réforme n’est peut-être que le premier acte d’une pièce qui se terminera par la mort pure et simple de la taxe scolaire.

Il faut dire que la taxe ne rapportera plus que 1,6 milliard, soit moins de 15 % du budget total des écoles primaires et secondaires. Est-ce que ça vaut encore le coût de maintenir l’infrastructure nécessaire pour récolter cette taxe ?

Est-il encore essentiel de faire des élections scolaires ? Le taux de participation a fondu de 8,4 % en 2003 à un famélique 5,5 % en 2014. Même dans les commissions scolaires anglophones, où les citoyens sont plus attachés à cet ordre de gouvernance, la participation n’est que de 17 %.

Maintenant que la taxe sera déterminée à l’échelle régionale, les citoyens auront encore moins de raisons d’aller voter.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.