Opinion

Trois constats alarmants sur nos écoles

Je vous invite, en ce début d’année, à porter attention à trois indicateurs critiques de notre système éducatif : ils rendent nécessaire la prise, par le ministre de l’Éducation, de trois décisions importantes en 2019.

42 % 

C’est la proportion des jeunes québécois qui fréquentent, au secondaire, une école privée ou publique à projet particulier. Ces élèves ont deux fois plus de chances d’accéder au cégep et, respectivement, neuf et six fois plus de chances d’aller à l’université que ceux inscrits à une école « ordinaire » publique.

Dois-je de nouveau le rappeler, le réseau scolaire québécois est considéré comme le plus inégalitaire au Canada. Plusieurs écoles privées et publiques à projet éducatif particulier continuent à recruter souvent les meilleurs élèves et ceux qui présentent les difficultés scolaires les moins importantes. Ce tamisage amène plusieurs écoles « ordinaires » à accueillir un nombre disproportionné d’élèves présentant des retards d’apprentissage importants ou des besoins particuliers, entre autres en ce qui a trait aux difficultés émotives et comportementales.

Il est impératif qu’en 2019, la réussite de tous les élèves devienne une responsabilité partagée par toutes les écoles, qu’elles soient privées, publiques à projet éducatif particulier ou « ordinaires ». Toute école secondaire devrait compter au minimum, dans l’état actuel de la situation de l’adaptation scolaire au Québec, de 18 à 20 % d’élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation et d’apprentissage, les deux tiers de tous ces élèves étant des garçons.

33 % 

C’est le taux de diplomation, après sept années passées au secondaire, des élèves en difficulté ou handicapés au Québec (EHDAA). Il est de 60 % ailleurs en Amérique du Nord. Le taux de décrochage (sortie sans diplôme) de ces élèves est d’ailleurs 3,4 fois plus élevé que celui des élèves ordinaires. Leur taux d’inclusion dans les classes ordinaires francophones n’est que de 60,3 % alors qu’il est de 84,1 % dans les écoles anglophones.

Pourtant, une importante étude américaine de Laura A. Schifter (2016) révèle que, pour toutes les catégories de handicaps, les élèves inclus dans des classes où se trouvent leurs homologues non handicapés ont des taux d’obtention du diplôme du secondaire dans les temps attendus nettement plus élevés que les élèves regroupés en milieu ségrégué, même si l’on tient compte des facteurs individuels et communautaires, y compris le type de handicap ou de difficulté ainsi que le revenu familial. D’autres recherches sur la question indiquent également que ces élèves obtiennent de meilleurs résultats scolaires lorsqu’ils sont encouragés à suivre un parcours ordinaire qui présente les mêmes exigences que celles que doivent remplir les élèves sans handicap.

La classe ordinaire doit être en 2019 la première option valorisée pour l’offre de services éducatifs aux jeunes qui présentent des difficultés d’apprentissage, des problèmes de comportement ou tout autre besoin particulier. Tous les décideurs, et entre autres les organisations syndicales, doivent résister à la tentation de revenir aux classes spécialisées pour compenser l’iniquité actuelle de notre système scolaire. Recourir aux pratiques de ségrégation du siècle dernier serait encore plus injuste, consacrant très tôt dans leur vie l’échec scolaire et la sous-scolarisation de plusieurs milliers de ces jeunes.

50 %

C’est la proportion des adultes souffrant de troubles associés à l’anxiété et au contrôle de l’impulsivité, qui affirment en avoir vécu avant l’âge de 12 ans les premiers signes identifiables, selon une étude de Kessler et coll. (2012). Pour leur part, la majorité des adolescents chez qui on a diagnostiqué un trouble d’opposition ou de dépression rapportent qu’ils en ont ressenti les premiers symptômes avant leur entrée au deuxième cycle du secondaire. Enfin, la majorité des élèves ayant une phobie ou un TDAH en ont décelé les premiers signes dès la maternelle ou la première année.

Il ne fait aucun doute que la santé mentale des jeunes a un impact sur leur réussite scolaire.

Il est impératif que dès 2019, des programmes de santé mentale en milieu scolaire soient offerts universellement et deviennent partie intégrante de la culture et des valeurs de l’école. Il faut en effet être en mesure de prévenir ces problèmes plutôt que d’uniquement y réagir. Pour ce faire, il importe de favoriser, entre autres, le développement de la « littératie en santé mentale » (mental health literacy) des enseignants et des autres intervenants scolaires, pour leur permettre de repérer rapidement les premières manifestations de problèmes éventuels de santé mentale, d’apporter les adaptations pertinentes et, au besoin, de diriger ces élèves vers les professionnels pouvant leur venir en aide.

Un leadership ministériel à exercer en 2019

À la lumière de ces trois indicateurs et des constats qui en découlent, le ministre de l’Éducation se doit de faire au moins les trois gestes suivants dans la prochaine année : 

1- Modifier d’ici décembre 2019 la Loi sur l’instruction publique et la Loi sur l’enseignement privé afin que toutes les écoles du Québec soient dans l’obligation d’offrir, en respectant les taux de prévalence en adaptation scolaire, des services éducatifs à tous les jeunes, sans discrimination quant à la nature des difficultés ou du handicap.

2- Réviser en profondeur la politique de l’adaptation scolaire en y affirmant dès les premières pages qu’à compter de septembre 2020, toutes les écoles deviennent inclusives et que les 2,6 milliards annuellement consacrés aux élèves handicapés et en difficulté seront accessibles autant aux écoles privées que publiques.

3- Établir, d’ici la rentrée de septembre 2019, un plancher garanti de services professionnels dans toutes les écoles du Québec avec entre autres l’objectif d’intervenir très tôt dans la vie des jeunes vulnérables et tout particulièrement dans celle des élèves qui présentent des difficultés émotives, comportementales et de santé mentale. Tout jeune québécois dont le développement ou la santé mentale inquiète un enseignant devrait être rencontré par un professionnel dans les 30 jours suivant l’expression de cette préoccupation.

* Égide Royer publiera ce mois-ci, chez École et Comportement, Les problèmes émotifs et comportementaux à l’école : petite encyclopédie de l’enseignant efficace 

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