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Le retour des soirées de célibataires ?

Parce qu’elle en avait assez de voir ses amis stresser sur Tinder, angoisser à l’idée d’écrire un mot et surtout flipper à l’idée d’être « flushés », Claudie Jalbert a eu la révolutionnaire idée d’organiser une soirée de célibataires. C’est ce soir que ça se passe : Tendre tendre, dans le local Artgang, sur la Plaza St-Hubert.

On ironise à peine. Depuis l’avènement des Tinder, Grindr et autres OK Cupid, l’essentiel de la drague se passe désormais par textos, sur le jugement souvent express d’une photo. Les choix sont rapides, expéditifs, et surtout sans pitié. T’as un gros nez, je jette. Un beau décolleté, j’achète !

« J’ai vraiment de la misère avec les applications, c’est tellement malaisant », poursuit l’organisatrice de 29 ans, qui a tout de même rencontré son copain sur Tinder, il y a deux ans.

« J’ai des amis sur Tinder depuis vraiment longtemps, trois, quatre ans, et je n’aurais jamais pu imaginer à quel point ça peut les angoisser : quoi écrire, comment écrire, etc. C’est tellement facile de se faire flusher… »

— Claudie Jalbert, coorganisatrice de la soirée Tendre tendre

D’où l’idée de jouer à l’entremetteuse. « J’ai beaucoup trop d’amis célibataires qui ne se connaissent pas. Je suis game de faire une séance de cupidon soon », a-t-elle lancé sans arrière-pensée sur sa page Facebook, en avril. Plus de 100 « J’aime » et des dizaines et des dizaines de commentaires plus tard (« sur mon profil personnel, ça se cruisait déjà ! »), Claudie Jalbert a décidé avec une amie d’organiser, avec les moyens du bord, un événement pour célibataires. En chair et en os.

« C’est pas inné pour tout le monde de cruiser online. Faudrait que ça change », souligne aussi la page Facebook de l’événement Tendre tendre, ouvert évidemment aux célibataires, mais aussi aux couples, aux gens de toutes les orientations, et à ceux qui ont simplement envie de danser et de s’amuser. Un code de couleurs est d’ailleurs prévu pour faciliter et surtout encourager les rencontres (JAUNE : t’es cute, mais je préfère le même sexe que moi ; ROUGE : fais-moi la tendresse ce soir ; VERT : je suis en couple ; BLEU : je sais pas trop, c’est donc ben intense un code de couleurs…).

« L’idée, c’est de retourner aux bases, oser rencontrer en personne, avec une émotion en personne ! »

— Claudie Jalbert

Ici, pas de mise en scène possible. « Tu veux me connaître, c’est moi, je suis là, résume-t-elle. C’est sûr qu’en personne, tu te trompes beaucoup moins. »

Tendance ?

Elle n’est évidemment pas la première à dénoncer les limites des rencontres virtuelles. Depuis deux ans déjà, les Célibataires indignés de Rosemont Petite-Patrie (qui comptent près de 1700 membres) organisent régulièrement des soirées karaoké, pique-niques, courses ou pourquoi pas séances de cuisine. « On voulait faire autre chose que les applications en ligne, résume le fondateur Michel Tremblay, comme dans le bon vieux temps, des activités. On voulait offrir quelque chose de différent. » Pourquoi ? « Peut-être que j’y crois davantage », dit celui qui a d’ailleurs rencontré sa blonde grâce au groupe, lequel a aussi vu naître deux petits bébés !

Peut-on ici parler de tendance ? « C’est un ping-pong qui se fait avec les technologies », croit-il.

De son côté, le fondateur des soirées de speed dating au Belmont, Philippe Parent, dit assister à une augmentation de 25 % de son affluence (sauf chez les 18-25 ans, probablement toujours fidèles à Tinder). « L’intérêt pour le face-à-face revient, je pense, les gens ont fait le tour [des sites et applications], dit-il. J’imagine que les gens reviennent vers les valeurs traditionnelles. »

« Oui, les gens veulent se rencontrer, nuance l’humoriste Anne-Marie Dupras, auteure de Ma vie amoureuse de marde. Mais ils ont très, très peur ! » Peur de quoi ? D’être déçus, de ne pas être abordés, ou pire, de tomber sur un « tata ». « Au moins, ton ordinateur, tu peux le fermer ! », rit-elle. Tout le monde constate en effet que les gens osent de moins en moins aborder des étrangers dans les bars, ces lieux traditionnels de rencontre d’une époque pourtant pas si lointaine. Mais de là à se réfugier dans le virtuel…

« Il n’y a vraiment rien comme le live pour te rendre compte qu’une voix te tombe sur les nerfs, que l’autre a un trou entre les dents, ou qu’il fait un pied de moins que toi ! »

— Anne-Marie Dupras, humoriste et auteure de Ma vie amoureuse de marde

Son conseil ? « Non, internet ne réglera pas tous nos problèmes, il va falloir qu’on sorte de chez nous ! »

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