Opinion Crise des migrants syriens

Lettre d’un réfugié

Le Canada devrait être plus accueillant avec les Syriens qui fuient leur pays

Il y a 17 ans, ma mère, mon frère et moi sommes venus au Québec en tant que réfugiés de guerre. Nous avions quitté la Bosnie-Herzégovine le 16 avril 1998.

Aujourd’hui, chaque fois que je vois une mère réfugiée foulant le sol européen en pleurs, qu’on traite comme de la vermine et que les médias appellent « migrante » pour être plus polis, j’ai mal à mon humanité.

Ça me rappelle le visage meurtri de cette mère seule, la mienne, traînant ses deux enfants, le plus gros fardeau qu’une mère seule puisse avoir dans ce monde, d’un océan à un autre. Elle retenait ses pleurs pour ne pas laisser échapper sa souffrance.

Toutes ces mères réfugiées me rappellent la mienne et ça me fait terriblement souffrir.

Le Québec nous a bien accueillis. Pas parfaitement, puisque personne ne peut être un hôte parfait. Au moins, je suis en vie. Souffrant, mais vivant.

L’Europe souffre d’une crise de migration dit-on. Facebook censure le visage de ce drame humain. Mais le drame, ce n’est pas la mort de milliers de personnes. La mort n’est pas un drame. Elle est une certitude. Le drame, ce sont les circonstances dans lesquelles ces personnes perdent la vie. Elles ne sont pas victimes du hasard, mais victimes d’un meurtre de masse, rendu légal avec la création des frontières.

La terre appartient à tous et à personne, mais peut-être un peu plus à certains qu’à d’autres.

J’essaie de ne pas trop penser au passé. Les cicatrices sont encore trop brûlantes. À 26 ans, un baccalauréat en poche, une maîtrise presque complétée, un doctorat à l’horizon, je ne peux que bêtement me demander « Pourquoi moi ? » J’aurais pu être Aylan Kurdi.

Pourquoi le Canada a-t-il accordé le statut à ma famille et pas à des Syriens, comme le petit Aylan Kurdi, alors que la situation en Syrie est pire que celle qui sévissait en Bosnie-Herzégovine en 1998 ?

Les politiques d’immigration du gouvernement Harper n’ont pas de précédent.

Le petit Aylan Kurdi aurait pu être un ingénieur, un professeur, un médecin. Malheureusement, il est devenu le symbole de ce drame banalement accepté. Le drame, ce n’est pas la mort de ce petit garçon de trois ans. Le drame, c’est que ce garçon de trois ans était dans l’obligation de prendre un bateau rempli de réfugiés, parce qu’il n’avait plus d’espoir que le Canada l’accueille (après que la demande de son oncle eut été rejetée). Il y a des milliers de petits Aylan dans les eaux de la Méditerranée.

La honte dans l’âme, le Canada se divertit avec des élections, alors que des milliers d’Aylan Kurdi attendent dans l’espoir qu’on leur ouvre les frontières, ces cicatrices que nous avons infligées à la terre et à nous-mêmes. Le résultat est prévisible. Des milliers d’enfants continueront de mourir, parce que ces cicatrices sont infectées d’une idéologie empoisonnée, et que seuls les riches ont les moyens de se payer un antidote.

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